jeudi 31 octobre 2019

Artificialia : de l'art de s'entretuer


 Je reviens sur mon strip de Mafalda




…vous en voulez une plus déprimante encore ?

Un article dans un vieux numéro d’Historia nous révèle que l’être humain, au fil de l’Histoire, a créé environ 430 fois plus de modèles d’armes blanches que de modèles d’instruments de musique — et cela, excluant les armes destinées à la chasse, lesquelles répondent à un besoin alimentaire.



Si vous avez besoin de moi, je serai en train de pleurer dans ma chambre…


Il n’en reste pas moins que l’étude de l’évolution des armes est un élément incontournable pour comprendre l’évolution des sociétés humaines. Qu’on soit aussi pacifiste que moi ou aussi belliqueux que (insérez ici votre dictateur « favori »), l’art de la guerre génère toujours une certaine fascination. Avec le recul du temps, bien sûr, on peut l’étudier comme on étudierait d’anciennes parties d’échecs ou de go ; cela n’enlève rien au dégoût que les conflits armés me suscitent, ni au calvaire enduré par les victimes.

(parenthèses : dans Les Géants de Blizzard, de Denis Côté, l’univers galactique est divisé en deux factions politiques, lesquelles se disputent la propriété des planètes à grands coups de… parties d’échecs. Chaque faction entraîne ses champions dans l’espoir de faire main basse sur davantage de territoire. Peut-être pourrait-on prendre un instant pour réfléchir à cette idée ?)

Avec les jouets mécaniques et les œuvres d’arts, les armes étaient les artificialia les plus répandues dans les cabinets de curiosités. Celui des Habsbourg en recensait plus d’un millier de modèles différents venus des quatre coins du monde.

L’exposition du musée Pointe-à-Callière en présente quelques-unes, sans leur accorder une visibilité comparable aux merveilles de la Nature.


J’ai à peu près la même philosophie. Je possède quelques armes blanches, exposées hors de portée de ma fille, et je les considère davantage comme une façon de comprendre le passé plutôt que d’entretenir la fascination qu’on certains pour le répandage d’entrailles.

Comprendre le lien qu’entretenait un samouraï avec son daisho, l’importance que revêtait pour un jeune Dayak le fait de recevoir sa première sarbacane ou ce qui a motivé les sikhs à forger autant de tulwar pour s'opposer à la Compagnie des Indes Orientales va bien au-delà d’une décapitation, d’une fléchette dans la nuque ou d’un abdomen béant : c’est le témoignage des valeurs d’une société.

Je ne me lancerai pas dans une longue description de la signification de chaque arme : cela prendrait de nombreuses pages et des références spécialisées, ce qui sortirait du propos de ce blog.

On me pardonnera donc, je l’espère, les approximations et les raccourcis qui suivront.



Hallebarde, circa 1400, Suisse (réplique approximative d’un objet historique)

La hallebarde occidentale est une invention suisse. On en retrouve les premières mentions de la hallebarde à propos d'une bataille opposant les cantons suisses aux troupes de Léopold de Habsbourg, (la bataille de Morgarten) et elle semble avoir joué, au XIVe siècle, un rôle majeur dans les batailles victorieuses (comme celle de Sempach).

Il est possible qu'elle fut introduite en France à la fin de la guerre de Cent Ans (1337-1453) ou peu après par le roi Louis XI qui, impressionné par le succès des hallebardiers suisses contre les troupes de Charles le Téméraire lors de la guerre de Bourgogne (1474-1477), en aurait équipé certains des fantassins de son armée.

Jusqu'à l'arrivée des mousquets, les fantassins hallebardiers pouvaient faire la différence entre la victoire ou la défaite d'une bataille. Une partie de la carte du nord de l'Europe s'est définie au gré de l'introduction de la hallebarde aux diverses forces armées.




Comprendre l'importance, la puissance et la répartition des porteurs de hallebarde permet d'éclairer les conquêtes européennes de la fin du Moyen-Âge sous un jour très particulier.


Le maniement de la hallebarde devint un art martial complexe, comparable dans sa complexité à l'escrime, demandant un entrainement continu. Lorsqu'on manie la hallebarde, l'énergie cinétique très importante qui en résulte en fait une arme très puissante, capable de tailler, percer et arracher les armures (c’est l’une des rares armes à pouvoir traverser un harnois).


Ma hallebarde

De nos jours, les gardes suisses du Vatican portent encore la hallebarde.





Wakizashi période Muromachi, Japon (réplique grossière)

Je ne m’étendrai pas ici sur tout le concept d’honneur et de vertu qu’impliquait le daisho (katana et wakizashi) pour les samouraïs : la définition varie selon les époques, les dynasties, voire les régions et je suis loin d’être un spécialiste.

Le concept du daishō est né au cours de la période Muromachi (1336-1573), durant laquelle il arrivait de croiser l'association d'une épée courte avec une autre de n'importe quelle longueur. Avec l'apparition du katana, le wakizashi a finalement été choisi par les samouraïs pour constituer une paire. Les samouraïs portaient le katana et le wakizashi à gauche, glissés dans la ceinture, et attachés par un cordon (sageo), pour accentuer la stabilité de la gaine (saya). Les samouraïs se servaient des wakizashi pour se battre dans les lieux clos. Comme les lames étaient relativement courtes, le combattant était plus libre dans ses mouvements qu'avec une lame plus longue.


Comprendre la symbolique du katana et du wakizashi permet de cerner l’un des éléments essentiels de l’identité nationale japonaise. 

Généralement un héritage légué au fil des générations, le wakizashi et le katana incarnent toute l’honneur d’une famille et ne peut être manié que par son propriétaire légitime. Les récits mythologiques racontent notamment comment le dieu de la terre, Susanoo, frère de la déesse du soleil et de la lumière, Amaterasu-o-Mikami, trouve dans la queue du dragon à huit têtes qu’il a tué afin de libérer le pays d’Izumo, l’épée symbole de la famille impériale. L’empereur Keiko la confie ensuite à son troisième fils, Yamatotakeru-no-Mikoto, afin qu’il s’en aille pacifier les contrées non encore soumises. À l'âge de 16 ans , il mit fin à une rébellion dans le Kyushu en tuant le chef. Cette épée est enfin remise à l’impératrice Jito lors de son accession au trône, en 686.


Mon « wakizashi » est une réplique (très) bon marché trouvé dans le quartier chinois de Montréal.


Sarbacane courte et ses fléchettes, peuple Dayak, Bornéo (authentique)

Au XIXe siècle, les Dayaks et les Malais se révoltent contre le sultanat de Brunei qui négligeait la gestion de Sarawak. Au même moment, l’explorateur James Brooke débarque à Bornéo. Cet aventurier et ancien soldat anglais de l'Armée des Indes a acheté, avec son modeste héritage, un navire qu'il a armé. Il se met au service du sultanat de Brunei et parvient à mater la rébellion en terrorisant les Dayaks avec ses canons. Le sultan de Brunei le récompense en le nommant Râja (gouverneur) du Sarawak. La famille Brooke y règnera jusqu’au XXe siècle.

Il est formellement interdit aux Dayaks de posséder des armes et ceux-ci sont contraints de travailler à produire de l’huile de palme ou extraire de l’antimoine. Or, l’un des objets de base de leur équipement d’ouvrier est une petite gourde composée d’un morceau de bambou de 30cm aux extrémités duquel on place des bouchons.


Comprendre l'origine de la sarbacane courte des Dayak permet de comprendre les valeurs que ce peuple désire transmettre à ses jeunes garçons.


Cette gourde prendra bientôt la fonction de sarbacane et deviendra le symbole de la résistance Dayak. En pratiquant une forme de guérilla, les Dayak s’opposent aux soldats du Râja Brooke en trempant la pointe de leurs fléchettes dans divers venins tirés de la nature. Plutôt que de l’eau, les « gourdes » sont emplies de fléchettes acérées : les Dayaks peuvent ainsi se promener armés à l’insu des Blancs.
Encore aujourd’hui, les Dayak portent ces sarbacanes. Le garçon la reçoit à 12 ans, ce qui fait de lui un homme : il n’a plus à baisser les yeux devant qui que ce soit, ni à obéir à un chef qu’il n’a pas choisi de suivre.


Ma sarbacane est authentique en ce sens qu’elle vient vraiment de Bornéo et fut fabriquée selon la méthode traditionnelle. Elle ne date toutefois pas de l’époque des Râja Brooke.    


Couteau ornemental, Inde,  (réplique fidèle d’un objet historique)

Déjà présenté auparavant sur ce blog, ce couteau est une réplique de celui qui fut offert à Robert Clive par Mir Jafar Ali Khan Bahadur, en 1763. L’original avait un fourreau et un manche en ivoire et en argent ; celui-ci (copie bon marché pour touristes) est en laiton et en ivoirine (ou faux-ivoire, un mélange de camphre, collodion et de méthylène). L’aigle représenté au pommeau et sur les ornements est Jatâyu, oiseau fabuleux du Ramayana.


Ce cadeau est un témoignage de l'implantation, aux Indes, de la domination britannique et nous permet de comprendre les révoltes qui en suivront.




Tulwar sikh,  seconde guerre anglo-sikhe (authentique)

L'histoire de l'Inde n'est pas ma spécialité, loin de là, quoique je me suis acheté de bons ouvrages pour combler cette lacune.

Voici les grandes lignes afin de mettre en contexte mon tulwar. Immédiatement après la mort de Ranjit Singh, la Compagnie anglaise des Indes orientales renforça son armée, particulièrement dans les régions adjacentes au Pendjab, établissant un cantonnement militaire à Firozpur, à seulement quelques kilomètres de la rivière Sutlej qui marquait la frontière entre les territoires britanniques et sikhs.

En 1843, ils conquirent et annexèrent Sind, au sud du Pendjab. Cela ne permit pas aux Britanniques de gagner du respect au Pendjab et augmenta les soupçons concernant les motivations des Anglais. La politique délibérément agressive que l'armée britannique mena à la frontière conduisit à une exacerbation des tensions avec le Pendjab.


La raison pour laquelle on a forgé autant de tulwar durant cette période porte à s'interroger sur les agissements actuels des grandes compagnies dans certains pays en voie de développement.


Afin de garder le contrôle de leur territoire, les sikh déclenchèrent la Seconde Guerre anglo-sikhe, une guerre entre le royaume sikh du Panjâb et la Compagnie anglaise des Indes orientales entre 1848 et 1849. Il en résulta la division partielle du royaume sikh et l'annexion du Panjâb et de ce qui devint la province de la frontière nord-est par la Compagnie anglaise des Indes orientales.

Pour cette guerre, où la motivation des sikh était d'empêcher une compagnie anglaise de prendre leurs terres, des milliers de tulwar furent forgés.


Celui-ci est authentique et me fut offert par une connaissance de mon ami anonyme. C'est un collectionneur d'armes anciennes : il possède plusieurs autres tulwar authentiques et celui-ci est en trop mauvais état pour figurer dans une collection comme la sienne.




Dague de Toutankhamon, Égypte, circa 1300 av. JC. (réplique approximative d’un objet historique)

Cette réplique m’a été offerte par une copine du secondaire, l’une de ces amourettes pré-relations sérieuses. La période des Fêtes a chevauché notre brève fréquentation, d’où ce cadeau.

Il s’ait d’une réplique de la lame de fer du poignard du pharaon Toutankhamon - à pommeau de cristal de roche et manche en or serti de pierres précieuses —découverte en 1925 par Howard Carter et était exposée depuis au Musée égyptien du Caire. Elle avait été retrouvée dans les bandelettes qui emmaillotaient la momie de ce célèbre souverain de la 18e dynastie, le long de son flanc droit.


La véritable dague, lame de fer au manche d’or et au pommeau de cristal




La mienne, lame d’acier au manche de cuivre (qui a verdi avec le temps) et au pommeau de quartz. On constate que cette reproduction est très approximative.


Ce qui intriguait jadis les archéologues — et fut sujet à de nombreuses théories conspirationnistes farfelues sur les extraterrestres ! — est que le travail du fer ne semble s’être répandu en Égypte que 300 ans après la mort du jeune pharaon.

Et finalement, les excentriques complotistes auront eu partiellement raison — de récentes analyses révèlent que le poignard a été forgé à partir de fer d’origine météoritique. Ce joyau royal est donc… extraterrestre, pour ainsi dire !

Une analyse géochimique publiée dans la revue Meteoritics and Planetary Science montre que le fer utilisé pour sa fabrication pourrait provenir d'une météorite. Les concentrations en nickel et les quantités de cobalt, phosphore, carbone et soufre décelées dans la lame sont typiques du fer d'origine météoritique (on parle de 10% de nickel dans la lame, là où elle est d'environ 4% pour du minerai terrestre).

Il est possible que les Egyptiens percevaient ces éléments de fer tombés du ciel et récupérés dans les météorites comme des envois divins.

Je m'écarte un peu du thème des pièces présentes dans mon cabinet pour aborder celui de la curiosité de représentait le fer météoritique --- un écart qui plaira sans doute à monsieur Futurible, que j'invite commenter pour enrichir ledit écart , car le sujet m'intéresse vivement.

Il y a quelques témoignages dans l'Antiquité de présence de fer météoritique et de l'intérêt qu'il revêtait en tant que trésor métallurgique. Le premier exemple qui me vient en tête est tiré de l'Illiade (on va noter la référence comme un pro : XXIII, 826). On y parle d'une "masse de fer fondue d'elle-même" qui formait l'un des prix aux jeux donnés en l'honneur des funérailles de Patrocle.

En latin (eh oui, j'ai étudié dans une école tenue par des frères), le mot latin "sidera" nous donnera tout autant "sidérurgie" que "sidéral" (que Clodjee me corrige s'il le faut). On trouve la même affinité en grec (ici je crois sur parole le frère Gilles Lindsay) entre le mot "fer" et le mot "étoile filante".

De retour en Égypte, dans un cimetière de la période prédynastique située le long du Nil, une parure préhistorique composée de neuf perles tubulaires avait été mise au jour en 1911, à Gerzeh. Après les avoir analysées en 2013, les chercheurs ont pu établir que ces perles étaient façonnées à partir de fer d'origine météoritique.

(Je crois aussi me souvenir de statues en fer météorique au Tibet...mais c'est flou et je ne retrouve pas la référence)

En science-fiction, P.J. Farmer, dans son Riverworld, présente un monde sans métaux : le fer y sera toutefois introduit grâce à une météorite.




Claymore, Écosse, circa 1400 (réplique fidèle)

Une claymore (du gaélique écossais claidheamh-mòr, « épée-grande ») est une large et grande épée à une main et demie ou deux mains qui était utilisée par les Highlanders, les guerriers écossais. Elle est apparue au XIIIe siècle XVIIIe siècle. Elle mesure environ 1,30 mètre de long (1 mètre de lame pour 30 centimètres de poignée). Les claymores ont la particularité d'être « courtes » pour des épées à deux mains. La poignée se distingue par deux branches longues souvent terminées par un trèfle à quatre feuilles.



 Les claymores sont les seuls exemples historiques d'épées à deux mains portées dans le dos et non fixées à la selle d'un cheval. Seuls les guerriers les plus respectés et les chefs de clans avaient le droit de la porter : porter une claymore était l’ultime prestige réservé aux combattants s’étant le plus démarqués dans la bataille, généralement des vétérans endurcis aux exploits admirés.



Ma claymore est une réplique fidèle d'après un modèle historique.