mercredi 30 novembre 2022

Pierre des Esprits

J’ai parlé dans le passé de mon intérêt pour les légendes (ancestrales ou modernes) liées aux concrétions (la précipitation de minéraux autour des particules). Dans un billet précédent, j’ai évoqué les billes Moqui qui m’ont toujours fascinées.




Ma bille Moqui

 

Je rêve également d’une sphère de Klerksdorp, mais nous avons également nos propres pierres mystérieuses au Québec et je suis très fier d’en avoir un exemplaire.




 

Dans la vallée de la rivière Harricana en Abitibi-Témiscamingue, on trouve des concrétions évoquant d’étranges sculptures — par paréidolie, elles évoquent les statuettes préhistoriques comme la Vénus de Willendorf.

 



Bon, la mienne n'est peut-être pas la plus ressemblante... 


Ces « Pierres des Esprits » se sont formés au cours de milliers d'années par dépôt de carbonate de calcium sur de petits cailloux. On raconte que les Premières Nations les attribuaient au Peuple des Rivières, qu’on nommait maymaygwashi en langue ojibwée, bien qu’ils aient d’autres dénominations chez différentes nations. P.B. de la Bruère, au XIXe siècle, évoque cette créature mythique dans La Sirène du Lac Supérieur.

 

Les Amérindiens de différentes nations les auraient portés comme porte-bonheur lorsqu'ils partaient en expédition de pêche ou de chasse, ce qui les aurait protégés contre les mauvais esprits, grâce à la magie du Peuple des Rivières.

 

Bien sûr, comme il n’y a pas de traces écrites de tout cela, il est toujours délicat d’évoquer une légende autochtone considérant que plusieurs furent littéralement inventées par les Blancs — la légende du « Rocher de Grand’Mère », dans le coin où je suis né, est d’ailleurs un bel exemple de légende montée de toutes pièces. Alors les Premières Nations ont-elles vraiment attribué ces vertus aux concrétions de l'Harricana ? On ne saura probablement jamais. Mais passons…




Les Pierres des Esprits se sont probablement formées sous un glacier, qui s'est retiré il y a des milliers d'années. Ils ont ensuite été emportés par l'eau et déposés le long des rives de certains lacs et rivières. L'une des principales rivières où on les trouve (et c’est de là que j’ai déniché la mienne !) est la rivière Harricana, la deuxième plus longue rivière du Canada. C'est un boulot fastidieux d'en chercher, considérant qu'elles reposent dans l'argile et qu'elles ont toutes l'air banales à première vue. Il faut donc fouiller la terre glaise et examiner les cailloux qu'on y trouve. Mais bon, quand on désire mettre la main sur une curiosité, il faut s'avoir s'armer de patience ou sortir son chéquier. 


Seulement voilà, je n'ai pas la fortune des cabinetiers de jadis et, admettons-le, c'est tout de même plus drôle de partir à l'aventure... et on tire bien plus de satisfaction à exposer une trouvaille bien à nous qu'un banal achat...   

 

 

mardi 29 novembre 2022

Radiole d'oursin-crayon (et bribes d'aventures)

En 2014, j’ai fait un voyage à Cuba, mais il n’agissait pas du classique « plage et cocktails » qu’on y fait généralement. Une bonne partie du voyage était consacré au « tourisme d’aventure », où j’ai eu le plaisir de sillonner la jungle, d’explorer une caverne et, bien sûr, d’amasser des spécimens.

 


Notre véhicule pour nous éloigner des centres urbains…



…vers la jungle…


…où les gens vivent plus modestement…




…et où nous attendent des splendeurs naturelles 

(ici la caverne que nous avons traversé et la chute qui cache son entrée).

 

Je reviendrai un jour sur ce voyage, ainsi que d’autres à travers notre pays ou ailleurs dans le monde, notamment la fois où je me suis discrètement esquivé des Imaginales d’Épinal, en France, pour aller chasser les courtilières…

 


En vain, malheureusement… les deux que j’ai repéré se sont sauvées 

à toute vitesse dans le sol, et je n’avais pas de truelle avec moi…

 

 

    Mais revenons au sujet d’aujourd’hui, c’est-à-dire « Aquafauna, autre », mettant en vedette une trouvaille cubaine que j’ai fait — ironiquement — en me prélassant sur la plage avec un cocktail (fallait bien se reposer après trois jours dans la jungle !).

 

    Encore plus ironique, ce n’est même pas un spécimen de la faune cubaine…

 

Bon, je raconte. J’ai beaucoup de difficulté à rester assis à ne rien faire. Le seul moyen pour moi d’être tranquille sur une plage, c’est avec un bouquin, mais je venais de terminer celui que j’avais amené et les autres étaient dans ma chambre d’hôtel… donc je me suis mis à ratisser la plage à la recherche de spécimens.  

 

     Je n’avais, à l’époque, de projet très clair pour organiser mes trouvailles en cabinet mais je me servais beaucoup de ces petites curiosités naturelles lorsque je faisais de la suppléance à l’école primaire du coin.

 

    C’est donc à ce moment que j’ai trouvé l’un de ces étranges objets sur la plage, le plus long sur la photo.



Au début, je n’avais absolument aucune idée de ce que c’était, alors forcément je l’ai gardé. Et, chose rare, le mystère allait s’épaissir quand je ferais des recherches sur Internet une fois à l’hôtel.

 

Il s’agit du piquant (ou « radiole » pour prendre le vrai terme) d’un oursin-crayon. Ce qui est étonnant, c’est que cet oursin vit dans les eaux tropicales du bassin indo-pacifique, de la mer Rouge à la Polynésie et du Japon à la Nouvelle-Calédonie.

 


    Mais qu’est-ce qu’il fichait là !?

 

    J’ai eu une piste de réponse le lendemain, dans le lobby : le gigantesque aquarium décoratif contenait plusieurs espèces que je savais venir du Pacifique, comme le célèbre poisson-clown, ainsi que deux oursin-crayons. On avait possiblement jeté à la mer un spécimen mort — ou on s’était débarrassé d’un spécimen en trop, ce qui est très dangereux pour l’écosystème local.

 

    Cela dit… L’oursin-crayon se rencontre sur les récifs coralliens denses, du battant des vagues (qu'il affectionne) à 25 m de profondeur. La journée, il vit caché dans des anfractuosités dont il sort de nuit pour se nourrir. 

    C’est un oursin très mobile et en captivité, il a tendance à quitter son aquarium. Se serait-il donc sauvé de l’hôtel ? J'avoue qu'imaginer ce petit bonhomme sortir de sa cuve et trottiner nuitamment dans le lobby pour aller rejoindre l'océan est une scène des plus amusantes, quoique peu probable... 



  

    Dans d'autres langues, la métaphore du crayon est conservée : en anglais Slate pencil urchin et en espagnol Erizo rojo de lapices. Il y a une longue tradition d'artisanat en utilisant ses radioles (qui peuvent dépasser 10 cm) pour faire des colliers ou des porte-bonheurs.



 

Il fallait bien traverser toute l’Amérique du Nord pour amasser une curiosité issue de la vie en captivité… mais bref. 



Pour l'instant, je les garde dans une éprouvette, faute d'avoir trouvé un moyen plus élégant de les exposer.



Et heureusement, j’ai attrapé à Cuba de beaux spécimens de la biosphère locale, comme ce splendide Eumorpha labruscae




P-S : Je crois que je vais modifier ma liste de sujet pour intégrer un billet « Aventures et Expéditions » par mois, j’aurais tellement de choses à vous raconter…

lundi 28 novembre 2022

Pendentif serbe, XVIIIe siècle

Alors comme ce sera le cas chaque 28 du mois, je vous parle brièvement de l’un des bijoux de mes Artificialia.

 



Je sais peu de choses sur ce pendentif. Il m’en venu avec un certificat d’authenticité stipulant qu’il fut découvert en Serbie sur un site archéologique datant de la fin du XVIIIe siècle. C’est encore le résultat d’un échange, cette fois avec un confrère européen qui désirait un artefact wendat (j’ai le plaisir d’en posséder quelques-uns, et j’ai déterré moi-même la plupart d’entre eux).

 

C’est un pendentif modeste, en bronze. En faisant des recherches sur l’histoire de la joaillerie pour mon ami Érick (lui-même maître-joaillier), j’ai pu découvrir que l’orifice central et les quatre petits trous étaient supposés avoir un fond formé d’une plaquette et que celle-ci fut arrachée, probablement à l’aide d’un couteau, afin de récupérer les pierres ornementales.



Un bijou du même type en meilleure état

 

Les quatre petits trous portaient des pierres de faible valeur (faute de quoi le bijou aurait été fait dans un métal précieux), possiblement de la malachite qui était alors fort populaire chez les gens de classe moyenne, comme les petits marchands ou les médecins de campagne.

L’orifice central contenait probablement un cabochon de verre sous lequel on pouvait glisser un petit objet. Le bijou est trop petit pour une peinture miniature mais on y glissait souvent une fleur séchée, quelques cheveux d’un être cher ou un bout de papier contenant un verset biblique (le plus souvent Jean 3 :16).

 




Des fleurs séchées en ornement central

 

Comme avec chacun de mes objets antiques, je passe souvent du temps à rêvasser à son ancien propriétaire et au destin du bijou lui-même : qui l’a porté ? qu’est-ce qui se trouvait sous le cabochon ? comment son propriétaire l’a perdu ?

   

Un jour je consacrerai un billet spécial à l’étrange sentiment qu’il y a à travailler dans une pièce où tous les objets artificiels sont déjà appartenu à plusieurs personnes… tant d’histoires inconnues qui flottent autour de soi… c’est très particulier.

dimanche 27 novembre 2022

Un petit insecte bien mystérieux (et plutôt menaçant)…

Je vous entretiens aujourd'hui de mon fulgore tacheté



 

Les Fulgoridae forment une grande famille d'insectes hémiptères (ordre qui comprend également les cigales), particulièrement abondante et diversifiée dans les régions tropicales. Ce sont des insectes bien mystérieux et peu connus. La tête de plusieurs fulgores se prolonge par une excroissance allongée, plus ou moins recourbée dont la véritable fonction est encore inconnue. On a longtemps cru qu’elle pouvait émettre de la lumière suite à une observation erronée d'Anna Maria Sibylla Merian (artiste naturaliste de grand talent à qui on doit bien des découvertes mais qui, comme tous les savants, a fait quelques erreurs). Leur nom découle de ce mythe (du latin fulgurare « lancer des éclairs ») de même que leur nom anglais, Lanternflies.

 



Une illustration d'autres espèces de fulgores par Anna Maria Sibylla Merian

 

Cette famille fut relativement peu étudiée. Certains fulgores auraient des mœurs diurnes, tandis que d’autres seraient nocturnes. Ils vivent de manière solitaire, bien que l’on retrouve parfois des agrégations de plusieurs individus. Il s’agit principalement d’insectes piqueurs-suceurs qui se nourrissent de sève, mais on connait mal leurs plantes-hôtes. Finalement, on ne sait presque rien de leur vie larvaire ou juvénile.

 

Parmi les légendes reliées aux fulgores, certaines sont encore répandues en Amérique latine, comme la croyance selon laquelle la piqûre d’un fulgore serait mortelle — la personne piquée devrait alors impérativement avoir une relation sexuelle dans les 24 heures sinon elle risquerait de mourir. Bien sûr, il s’agit de balivernes, mais gageons que certains Don Juan ont prétendu s’être fait piquer plus souvent qu’à leur tour…

 

Certaines espèces sont considérées comme des pestes des cultures, dont le fulgore tacheté. C’est un insecte impressionnant, paré de couleurs vives, qui est originaire de l'Asie et s’est implanté aux États-Unis. Il n'est pas encore présent au Canada, mais il constitue une menace potentielle pour les industries viticole, forestières et pour les arbres fruitiers au Canada. Le fulgore tacheté a été ajouté à la liste des parasites réglementés en 2018, afin d'empêcher son introduction en provenance de zones infestées.

 


Plusieurs fulgores tachetés sur un arbre

 

Mon fulgore tacheté a été retrouvé mort par un camionneur de ma connaissance dans le pare-brise de son véhicule. C’est aussi ainsi que j’ai obtenu mon frelon asiatique (voir billet Le monstre envahisseur) mais ce ne fut pas lors du même voyage qu’il fut ramené.

 

Ça reste un bel insecte et il s’agit d’un important symbole dans mon cabinet, signifiant qu’il y a encore tellement à apprendre sur notre biosphère…

samedi 26 novembre 2022

Feu de navigation

Je l’ai souvent dit et je le répèterai souvent : j’ai toujours rêvé d’être un grand explorateur naturaliste à bord d’une caravelle, d’un navire au diesel, d’un zeppelin steampunk ou d’une navette interstellaire — mais même si l’exploration d’une biosphère extraterrestre serait la plus grande aventure de tous les temps, reste que le charme poétique de la navigation à voile m’a toujours séduit.

C'est pourquoi le matériel maritime antique occupe une place de choix dans mon cabinet (d'autant que plusieurs instruments -- sextants, astrolabes, boussoles et j'en passe -- sont indissociables de l'histoire de l'Astronomie).  


Toutefois, la pièce d'aujourd'hui est purement maritime. C'est une belle trouvaille que j’ai fait chez un antiquaire du Vieux-Québec : un feu maritime rouge, à l’huile, datant du début du XXe siècle.



 Les vis sont neuves, les antiques étaient tombées en poussière, semble-t-il.




Le brûleur seul


Pourquoi un feu rouge ? Il s’agit essentiellement d’un guide pour la navigation nocturne. La réglementation internationale date de 1862 et exige un feu blanc d'une portée de 5 nautiques, fixé à 6 m au moins au-dessus du pont sur le mât d'avant ou mât de misaine, un feu vert à tribord, un feu rouge à bâbord. Ainsi, selon la position des feux (rouge à gauche ou rouge à droite), vous savez si le navire devant vous se rapproche ou s’éloigne.



L'emploi des feux de route existait bien avant, comme, par exemple, lors de la navigation de nuit d'une escadre, mais chaque marine militaire avait sa propre méthode.


La réglementation "internationale" de 1862, qui s'adressait, en priorité, aux bâtiments du commerce et aux bateaux de pêche, a été concoctée par une commission anglo-française, pour faire face à la mauvaise visibilité sur la Manche.

 

De nos jours ces lumières sont électriques, mais la réglementation existe toujours.




 

vendredi 25 novembre 2022

Couteau viking

 

Je serai bref dans ce billet, quitte à revenir sur le sujet. C’est le prix à payer pour publier un billet par jour !




 

Issue d’un site danois, cette lame de couteau date du Xe siècle. Il s’agissait d’un couteau usuel, ancêtre du canif de poche. Son manche était probablement de bois : s’il avait été d’os (comme cela arrivait souvent) on l’aurait probablement découvert avec la lame.

 

Il s’agit d’un modèle très courant et cette antiquité n’a de valeur qu’à mes yeux de cabinetier. C’est un témoignage fabuleux et je peux passer de longs moments à le tenir dans mes mains, rêvant de voir ce que fut sa « vie ».




Des exemplaires de ce type de couteau ont été retrouvés par centaines. Les mieux conservés furent découverts avec leur étui de cuir bien préservée. 




Ils peuvent être aussi courts que le pouce (petits couteaux à cordage ou pour tailler le cuir) ou aussi long qu’un glaive — on les appelle alors saex et il s’agit alors d’une arme pour le guerrier de base qui n’a pas les moyens de s’acheter quelque chose de plus prestigieux.




jeudi 24 novembre 2022

Raie naturalisée

Les raies me fascinent et me mettent un peu inconfortable. Je précise tout de suite : je n'ai pas peur des raies, j'adore les voir nager à l'Aquarium de Québec, j'en ai aussi caressé au bassin de contact et j'en ai même déjà mangé (mais pas celles de l'Aquarium). Elles produisent toutefois chez moi un sentiment qu'on pourrait rattacher à l’uncanny valley (ou "vallée de l'étrange") : ce sentiment d'inconfort lorsqu'on est en présence de quelque chose qui ressemble à l'humain.

 

Voici mon spécimen.



De dos...


...de face.


Alors bon, je ne sais pas pour vous mais moi, ça m’a toujours évoqué une sorte de diablotin maléfique. Cela dit, ce que vous voyez, ce n’est pas un visage composé d’yeux et d’une bouche mais bien des fentes respiratoires et une bouche. Sur cette image, on peut bien voir la position de l’œil.



 

L’effet de visage est donc une paréidolie. Pourtant, il semble que je ne sois pas le seul à trouver que les raies ont un air quasi surnaturel.

On raconte que saint Pierre les aurait reconnus comme les poissons les plus sacrés de la mer, capables de comprendre le langage des hommes.

Dès le Moyen-Âge, on compare les raies aux humains. J’ai déjà parlé, il y a longtemps, de l’Évêque de Mer, supposé maitre spirituel de la faune sous-marine. Il est décrit comme un monstre merveilleux, un poisson en tous points comme un homme, comprenant le langage des hommes sans le parler, portant les attributs d'un évêque et notamment la mitre et une chasuble susceptible d'être soulevé jusqu'au-dessus des genoux. Il fut présenté au roi de Pologne en 1431 avant d'être à sa demande muette rendu aux flots pour ne jamais reparaître.



Sur cette carte de la Renaissance représentant l’Islande, on peut voir une créature marine mythique, le Skötumóðir, ou "Mère des Raies". 




On les disait titanesques et toxiques à manger, avec des dos comme des îles couvertes de boue et arborant neuf queues. Il y a toujours un essaim de raies nageant autour d'un skötumóðir. Au fur et à mesure qu'elles sont capturés par les pêcheurs, la mer semble devenir moins profonde à mesure que le skötumóðir remonte à la surface. Enfin, la mère vengeresse des raies accroche ses ailes au navire et l’entraîne sous les vagues.


À Anvers, un siècle plus tard, on commencera à découper les raies pour en faire des taxidermies monstrueuses, les Jenny Haniver (déformation anglaise de « Génie d’Anvers »).  C'est l'un de mes monstres de cabinet favori et oui, je vous en ai déjà parlé, je radote...




Ulisse Aldrovandi fait mention de cette créature dans l’un de ses livres d’Histoire Naturelle.




Plus récemment, James Cameron s’en est inspiré pour créer les êtres intelligents sous-marins du film The Abyss.




Donc, imaginer que les raies sont des êtres diaboliques ou féériques, ce n'est pas qu'un délire de mon esprit fêlé. D'autres l'ont imaginé avant moi bien que ces poissons n'aient pas, en réalité, d'intelligence mesurable. Cela dit, quand je rêvasse, elles m’évoquent un autre peuple, mythique et sous-marin… je ne me lasse pas de les imaginer regagner des cités abyssales constituées de cavernes luminescentes et, par d’étranges ballets, invoquer des puissances antédiluviennes comme celles évoquées par H. P. Lovecraft. Les raies appartiennent d’ailleurs à l'ancienne lignée des poissons cartilagineux et remontent au moins à l'Ordovicien. Elles sont proches parentes des requins et surtout des poissons-scies.

 



Bref, après tout ça, je suppose que vous comprenez pourquoi je tenais à avoir une raie dans mon cabinet…

mercredi 23 novembre 2022

Fiole à bromure

J’ai espéré longtemps trouver un contenant de bromure de potassium. Ce produit occupe une place majeure dans l’intrigue de mon roman Geist ; dans sa nouvelle Le Horla (version longue), le personnage de Maupassant doit se soumettre à ce traitement.



Je ne cacherai pas que j’aime spécialement dénicher des curiosités qui s’accordent avec mes univers imaginaires. Jusqu’ici, j’ai été plutôt chanceux avec Geist et ma fiole à bromure est accompagnée d’une boîte à électrochocs, d’un manuel de phrénologie, d’un recueil ancien des nouvelles de Maupassant et de quelques appareils de mesure électriques datant du début du XXe siècle.


(j'ai aussi, j'y reviendrai, de belles pièces en lien avec Le Crépuscule des Arcanes, mon roman en cours d'écriture Artifex, mes nouvelles longues Accords de principe et Par-delà la Mer et le Ciel -- cette dernière à paraître bientôt). 


Mais revenons à notre fiole à bromure. Une des choses que j’adorais quand je vivais à Lévis était le nombre d’antiquaires et de brocanteurs qu’on y trouvait, ainsi que leur tempérament sympathique. L’un d’eux m’avait envoyé un courriel, me disant qu’il venait d’acheter un vieux cabinet de pharmacie. Le meuble, massif et mal préservé, ne m’intéressait pas, mais j’étais curieux d’en examiner le contenu.   

Il y avait quelques contenants de remèdes que le brocanteur m’a laissé à fort bon prix. Parmi ceux-ci, à ma grande joie, la plus belle pièce était cette fiole à bromure, toujours dans sa boîte (ce qui en fait une pièce convoitée). Elle contenait encore quelques comprimés que j’ai transférés dans un pot de pilules moderne et porté en pharmacie pour élimination.

 



Le bromure de potassium est un sel qui fut largement utilisé comme antispasmodique et sédatif au XIXe siècle. De formule chimique KBr (d’où le terme argotique « kabrer un patient »), il est de couleur blanche ou incolore. On le mélangeait à de l’eau et on le consommait comme une eau gazeuse.

Les propriétés antispasmodiques du bromure de potassium ont été découvertes par Charles Locock en 1857. Ce dernier avait noté que le bromure calmait les tremblements et empêchait de formuler des idées avec acuité. Il cause aussi l’impuissance et, comme on pensait généralement que l'épilepsie était causée par la masturbation, le bromure de potassium semblait tout indiqué.

 



Guy de Maupassant fut l’un des consommateurs de bromure les plus connu. Non seulement y fait-il allusion dans plusieurs de ses textes mais le rapport du docteur Blanche, son aliéniste, en fait largement mention. Étant un Don Juan notoire, Guy de Maupassant avait une activité intime très intense et ne tarda pas à contracter la syphilis. Tant pour limiter la propagation que pour l’aider à contrôler ses ardeurs, Maupassant se fit rapidement prescrire des doses de bromure.

 


Guy de Maupassant


La consommation du bromure de potassium a peut-être eu une influence sur la dernière période littéraire de l’écrivain, qui passe du réalisme au fantastique et développe une fascination morbide pour la démence. En effet, les effets secondaires du bromure de potassium incluent la perte d'appétit, la léthargie, un épuisement permanent, la dépression, la perte de concentration et de la mémoire, la confusion, la paranoïa, les délire, l’agressivité et la psychose.

Pour les curieux, je vous invite à relire la version longue du Horla en gardant ces symptômes en tête et en sachant que ce fut la période où Maupassant consommait les plus fortes doses de bromure. Le héros du récit décrit l'arrivée progressive des symptômes cités ci-haut, presque dans l'ordre. 

 



Un illustration du Horla. Je ne sais pas pour vous, mais je trouve que le personnage a des airs de famille avec Maupassant lui-même...


Mais le bromure de potassium n’est pas seul responsable de la démence dans laquelle l’écrivain séducteur finira ses jours. La cause principale en est probablement la syphilis qui, dans son stade final, génère chez 10% des personnes atteintes des troubles neurologiques importants. S’en suivra une méningoencéphalite qui aboutit à la démence. Des changements extraordinaires dans la sensibilité ou le psychisme au cours de cette phase ont été décrits, mais ils ne sont pas constants. Différentes sortes d'hallucinations et une augmentation de la libido ont été rapportées.


Augmentation de libido que l’on soignait, vous l’aurez deviné, au bromure de potassium.

 

Triste histoire, considérant que de nos jours, il suffit d’une prise d’antibiotiques pour traiter cette maladie.

mardi 22 novembre 2022

Serres de hibou grand-duc

Alors pour le 22 Ornithologie, je vous montre ces serres de hibou grand-duc (le mot s’applique aux griffes et non aux doigts ou la patte elle-même, dixit Le Robert). Je dis « grand-duc », mais je devrais préciser « grand-duc d’Amérique », car notre ami a un homonyme européen qui n’appartient pas à la même espèce.

 




Ces serres sont tout ce que j’ai pu récupérer d’une vieille taxidermie mangée par les mites issue d’une vieille grange — et ce n’est pas la même taxidermie usée que mon oncle m’a donné et dont j’ai pu récupérer le crâne. Dans ce cas précis, non seulement le crâne était irrécupérable, mais l’autre patte aussi, de même que l’essentiel du plumage sur lequel un produit noirâtre (goudron ? mélasse ? huile de vidange ?) avait coulé. J’ai pu sauver deux belles plumes des ailes et honnêtement, je n’aurais pas pu en récupérer trois.

 

Le duvet de la patte n’est pas dans un superbe état, mais les serres sont intactes et c’est l’essentiel.

 

Les pattes des chouettes et des hiboux se différencient de celles des aigles par des serres presque toutes égales et de grande taille. Les doigts sont plus courts que ceux des autres rapaces. La courbure interne est moins prononcée, leur donnant un air de griffes de chat. Enfin et surtout, l’un des doigts avant peut pivoter vers l’arrière, pour donner une prise « deux en avant, deux en arrière ».

 




Comparé aux autres rapaces, les hiboux capturent des proies relativement petites (surtout des souris, des rats et des mulots, versus un aigle de même envergure qui pourra facilement capturer un lièvre). Contrairement à la croyance populaire, le hibou ne tue pas avec ses serres en brisant l’échine de sa proie (bien qu’il le pourrait : la puissance des serres du hibou grand-duc a été mesurée à 300 livres par pouce carré). S’il peut arriver qu’elle meure au bout son sang après avoir été percée d’une griffe, c’est un résultat accidentel. Les serres servent à capturer et dépecer ; c’est avec son bec que le hibou mettra à mort l’infortuné rongeur.

 


Un refuge pour rapaces blessés relâche un grand-duc. 
La prise de vue donne un excellent aperçu de l'envergure de 
l'oiseau comparée à la taille d'un être humain


lundi 21 novembre 2022

Lunettes d'horloger

 

Content de vous revoir !


Alors nous sommes le 21 et sur le programme, ça indique « antiquité, vie courante ». Je n’avais pas vérifié avant de choisir le jour de mon retour et ce ne sont peut-être pas les objets les plus « curieux », aussi ai-je décidé de commencer par une antiquité de la vie courante que j’utilise de plus en plus couramment dans ma propre vie courante.



Ce que vous voyez ci-dessus est une paire de lunettes d’horloger en laiton, datant — m’a assurée l’antiquaire — de 1904. Elles me sont tombées dans l’œil — s’cusez — alors que Sonya et moi revenions du Salon du Livre de Rimouski en 2019. Nous avions avions besoin de nous dégourdir les jambes, ma douce moitié m’a proposé de googler les antiquaires sur mon téléphone et voilà, nous avons pris la sortie suivante. La dame se spécialisait surtout dans les vieux meubles, la vaisselle de porcelaine, cristal ou argent, de même que les vieux chaudrons de cuivre et de fonte noire — votre humble serviteur ne jure d’ailleurs que par ses derniers lorsqu’il cuisine.

 Un coin de la boutique était consacré à ce que la dame appelait « les bibelots », où l’on trouvait notamment de vieux fers à repasser, des vases et quelques anciens outils. Parmi le lot, ces lunettes, vendue pour la modique somme de 20$ (en plus, la dame nous a offert le café, et si on songe au prix qu’on nous vend le précieux liquide en restaurant, j’ai fait une sacrée bonne affaire).

Mais revenons à nos lentilles. Ce sont des lunettes correctrices et, bien que je ne sois pas un spécialiste, il suffit de regarder à travers les verres pour constater qu’elles étaient destinées à corriger une presbytie légère, du genre « lunettes de lecture ». La presbytie, qui nuit à la vision rapprochée, est sans contredit un fléau pour les horlogers vieillissant…   





Bien sûr, la lentille est le détail le plus intéressant. Mon ami Érick, maître-joaillier (et illustrateur, voir en page 65 de Solaris 224) m’a assuré que cette loupe était aussi bonne que celle qu’il utilise lui-même en atelier (soit 5x) et que l’image obtenue est tout aussi limpide. Comme vous pouvez le constater, la lentille se détache et pour rigoler, je l’avais fixée à mes propres lunettes grâce à la pincette. J’ai été étonné de constater l’efficacité de la loupe et, une chose en entrainant une autre, je me suis mis à l’utiliser dans la vie quotidienne.




C’est tellement pratique ! Au début, c’est certain, il y a une gymnastique faciale à maîtriser : fermer l’œil gauche pour travailler en « zoom 5x », fermer l’œil droit pour revenir à la vision normale — et comme je n’ai jamais été très habile pour les clins d’œil, ça me donnait un air grimaçant plutôt loufoque. Mais il suffit d’une ou deux soirées à épingler des insectes pour que le mouvement devienne totalement naturel, et c’est stupéfiant comme le cerveau s’y habitue rapidement.


Depuis, quand j’étale mes spécimens entomologiques, je passe du zoom au normal sans même y réfléchir. Car oui, c’est pour travailler avec les insectes que j’ai utilisé la lentille la première fois : ça permet de garder les deux mains libres plutôt que de tenir une loupe en main — quant à ma loupe sur pied, elle était toujours « dans le chemin ».


Et honnêtement, ça me semble plus pratique que la version moderne, affectionnée par Érick, qu’il faut sans cesse retirer et remettre…



…quoique le style traditionnel existe encore, en version modernisée.



Outre l’entomologie, la lentille m’a bien servie l’été dernier pour retirer une écharde du doigt de ma fille.


C’est sûr que j’ai un drôle d’air en sortant de mon bureau si j’oublie de la retirer — ce qui arrive souvent car, comme je le disais, ça devient vite « naturel » — mais bon, on est excentrique ou on ne l’est pas.