J’ai espéré longtemps trouver un contenant de bromure de potassium. Ce produit occupe une place majeure dans l’intrigue de mon roman Geist ; dans sa nouvelle Le Horla (version longue), le personnage de Maupassant doit se soumettre à ce traitement.
Je ne cacherai pas que j’aime spécialement dénicher des curiosités qui s’accordent avec mes univers imaginaires. Jusqu’ici, j’ai été plutôt chanceux avec Geist et ma fiole à bromure est accompagnée d’une boîte à électrochocs, d’un manuel de phrénologie, d’un recueil ancien des nouvelles de Maupassant et de quelques appareils de mesure électriques datant du début du XXe siècle.
(j'ai aussi, j'y reviendrai, de belles pièces en lien avec Le Crépuscule des Arcanes, mon roman en cours d'écriture Artifex, mes nouvelles longues Accords de principe et Par-delà la Mer et le Ciel -- cette dernière à paraître bientôt).
Mais revenons à notre fiole à bromure. Une des choses que j’adorais
quand je vivais à Lévis était le nombre d’antiquaires et de brocanteurs qu’on y
trouvait, ainsi que leur tempérament sympathique. L’un d’eux m’avait envoyé un
courriel, me disant qu’il venait d’acheter un vieux cabinet de pharmacie. Le
meuble, massif et mal préservé, ne m’intéressait pas, mais j’étais curieux d’en
examiner le contenu.
Il y avait quelques contenants de remèdes que le brocanteur
m’a laissé à fort bon prix. Parmi ceux-ci, à ma grande joie, la plus belle pièce était cette
fiole à bromure, toujours dans sa boîte (ce qui en fait une pièce convoitée). Elle
contenait encore quelques comprimés que j’ai transférés dans un pot de pilules
moderne et porté en pharmacie pour élimination.
Le bromure de potassium est un sel qui fut largement utilisé comme antispasmodique et sédatif au XIXe siècle. De formule chimique KBr (d’où le terme argotique « kabrer un patient »), il est de couleur blanche ou incolore. On le mélangeait à de l’eau et on le consommait comme une eau gazeuse.
Les propriétés antispasmodiques du bromure de potassium ont
été découvertes par Charles Locock en 1857. Ce dernier avait noté que le
bromure calmait les tremblements et empêchait de formuler des idées avec acuité.
Il cause aussi l’impuissance et, comme on pensait généralement que l'épilepsie
était causée par la masturbation, le bromure de potassium semblait tout
indiqué.
Guy de Maupassant fut l’un des consommateurs de bromure les plus connu. Non seulement y fait-il allusion dans plusieurs de ses textes mais le rapport du docteur Blanche, son aliéniste, en fait largement mention. Étant un Don Juan notoire, Guy de Maupassant avait une activité intime très intense et ne tarda pas à contracter la syphilis. Tant pour limiter la propagation que pour l’aider à contrôler ses ardeurs, Maupassant se fit rapidement prescrire des doses de bromure.
La consommation du bromure de potassium a peut-être eu une
influence sur la dernière période littéraire de l’écrivain, qui passe du
réalisme au fantastique et développe une fascination morbide pour la démence. En
effet, les effets secondaires du bromure de potassium incluent la perte
d'appétit, la léthargie, un épuisement permanent, la dépression, la perte de concentration
et de la mémoire, la confusion, la paranoïa, les délire, l’agressivité et la
psychose.
Pour les curieux, je vous invite à relire la version longue
du Horla en gardant ces symptômes en tête et en sachant que ce fut la
période où Maupassant consommait les plus fortes doses de bromure. Le héros du récit décrit l'arrivée progressive des symptômes cités ci-haut, presque dans l'ordre.
Mais le bromure de potassium n’est pas seul responsable de la démence dans laquelle l’écrivain séducteur finira ses jours. La cause principale en est probablement la syphilis qui, dans son stade final, génère chez 10% des personnes atteintes des troubles neurologiques importants. S’en suivra une méningoencéphalite qui aboutit à la démence. Des changements extraordinaires dans la sensibilité ou le psychisme au cours de cette phase ont été décrits, mais ils ne sont pas constants. Différentes sortes d'hallucinations et une augmentation de la libido ont été rapportées.
Augmentation de libido que l’on soignait, vous l’aurez
deviné, au bromure de potassium.
Triste histoire, considérant que de nos jours, il suffit d’une
prise d’antibiotiques pour traiter cette maladie.
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