mercredi 24 novembre 2021

Locupletissimi rerum naturalium thesauri



J’ai déjà mentionné, il y a quelques semaines, que je commençais le catalogue de mon cabinet en photoshopant des pages d'anciens bouquins d'histoire naturelle. Voici d’ailleurs une de mes planches, consacrée à certains papillons du Québec que je possède :




J’avais également dit que je consacrerais quelques billets aux différents catalogues de cabinets. Dans celui-ci, je vais aborder le Locupletissimi rerum naturalium thesauri.




Il s’agit du catalogue du zoologiste et pharmacien hollandais Albertus Seba (1665- 1736), célèbre pour son cabinet de curiosités.




Installé à Amsterdam, où son métier de pharmacien lui procure une grande fortune, Albertus Seba consacre vite ses revenus à l'histoire naturelle. On raconte que c’est le port d’Amsterdam, où il aimait faire des promenades, qui serait à l’origine de sa passion. En effet, le pharmacien s’émerveille autant de ce que les marins ramènent de leurs voyages (coquillages, animaux exotiques, plantes séchées, artefacts) que des poissons que remontent les pêcheurs locaux. Il se met vite à acquérir tout ce qui lui semble inusité.  





Le port d’Amsterdam, alors une plaque tournante du commerce international, lui permet d'obtenir facilement des spécimens en provenance du nouveau monde et de contrées lointaines. Il vend sa première collection au tsar Pierre Ier le Grand en 1717 et celle-ci sera la pierre fondatrice du futur muséum de Saint-Pétersbourg. 



Seba se rend vite compte qu’il regrette sa collection et décide d’en recommencer une autre dans les mois qui suivent. En 1731, il fait réaliser une illustration de chaque spécimen de sa collection pour publier le catalogue de son cabinet, le Locupletissimi Rerum Naturalium Thesauri. Ce catalogue est constitué de 446 planches de grande taille, 175 sont des doubles pages, le tout divisé en quatre parties. Les animaux sont figurés dans des poses artistiques et les coquillages forment des motifs décoratifs. 




On note la présence de théories animalières aujourd’hui tombées en désuétude et de canulars. Ici, une hydre réalisée d’après un spécimen empaillé qu’il avait acheté à fort prix, possiblement constitué d’un corps de varan auquel on avait greffé plusieurs serpents.




Ici, une étude tératologique sur les "monstres" de la nature, ou plutôt des malformations.



Et ici, l’explication d’une théorie voulant que les têtards deviennent grenouilles avant que celles-ci ne deviennent des poissons.




Le format du Locupletissimi rerum naturalium thesauri est énorme, faisant 51 cm de haut et chaque volume pesant plus de 20 lbs. Du fait de la grande dimension des planches, les animaux sont souvent figurés à leur taille réelle.



Pour ceux que ça intéresserait, une copie de l’édition originale est en vente pour 150 000 $ ici :


https://aradergalleries.com/products/albertus-seba-1665-1736-locupletissimi-rerum-naturalium-thesauri-accurata-descriptio-et-iconibus-artificiosissimis-expressio-per-universam-physices-historiam


Il est aussi possible d’en acheter une copie en haute qualité chez Mullen pour 800$ CAN :


https://www.mullenbooks.com/pages/books/136379/albertus-seba/albertus-seba-cabinet-of-natural-curiosities-locupletissimi-rerum-naturalium-thesauri-1734


Ou vous pouvez le consulter gratuitement en ligne ici :


https://archive.org/details/Locupletissimir2Seba



MISE À JOUR

Messire Tessier me signale que Taschen offre (à un prix décidément plus abordable, 80 $US), une copie du  Locupletissimi rerum naturalium thesauri :

https://www.taschen.com/pages/fr/catalogue/classics/all/44835/facts.seba_le_cabinet_des_curiosites_naturelles.htm 


vendredi 19 novembre 2021

Des confidences par-delà l’espace et le temps

J’ai eu quelques lecteurs qui m’ont parlé de la malle où j’avais trouvé le billet de 1000 couronnes austro-hongroises. Certains voulaient savoir si j’avais eu le temps de retirer le papier peint ; la réponse est non, et je vous promets de vous tenir au courant.

Mais beaucoup étaient également intéressés par l’histoire de la malle, les indices que je pouvais en tirer. On m’a questionné à savoir si des « histoires cachées » peuvent souvent être mises à jour.

Je ne dirais pas « souvent », mais ça arrive moins rarement que je l’aurais cru. Des annotations derrière de vieux ferrotypes ; les notes prises dans un journal qui révèlent un naturaliste inconnus (j’en ai déjà parlé) ; quelques conjugaisons difficiles griffonnées dans le fond d’un coffre à crayon en bois, peut-être afin de tricher à un examen ; une mèche de cheveux nouée avec un ruban dans un vieux coffre à bijoux.

Tant d’histoires dont je ne connaitrai jamais les détails. Des bribes du passé, dont la signification est oubliée pour toujours, qui aboutissent dans mon cabinet pour me murmurer leur existence.

Ça me rend tout humble, ça me fait sentir privilégié et c’est précieux à mes yeux. 

Dans ce billet je vais partager avec vous « l’histoire cachée » qui m’a le plus bouleversé, à un point que je ne sais pas encore comment agir face à celle-ci. 


J’adore les livres scientifiques anciens, leur apparence de grimoire, leurs théories vétustes expliquées comme des découvertes récentes et prometteuses. J’ai acheté ce vieux bouquin de sciences pour 50 cents chez un bouquiniste. 



Le bouquin était abondamment annoté. C’est une chose que j’adore. Avec une loupe, je relis chaque phrase, chaque note, j’essaie de me figurer être en train d’étudier avec son précédent possesseur.





C’est plaisant et parfois on y lit quelques petits trésors. Je digresse une peu : dans un autre bouquin, on peut lire dans une marge « appartement de Louiselle, 1199 Dor.Est » avec un petit cœur gribouillé en-dessous. Le monsieur avait aussi inscrit son propre nom et la date d’achat sur la page-titre et grâce à cela, j’ai pu découvrir qu’il était décédé en 1997, laissant dans le deuil « son épouse Louiselle, leur sept enfants et dix-huit petits-enfants ».

C’est attendrissant, non ?


Mais ces histoires-là ne finissent pas toujours bien, et celle que renferme le livre de sciences est une véritable tragédie.


Au premier tiers du bouquin, on trouve cette photo, découpée d’un journal.


On peut d’ailleurs constater, au jaunissement du papier, qu’elle y est resté longtemps.



Le texte en-dessous m’a ébranlé… « est au nombre des disparus ».

« Au nombre de » !?


Ce fut facile de retrouver le journal entier. On peut voir un bout de la date (…vier 1938, donc « Janvier »). De l’autre côté, une partie de l’entête du journal.



J’ai assez fouillé les archives dans ma carrière d’auteur pour reconnaître l’entête de « La Patrie ». Et c’est ainsi qu’en observant les exemplaires des archives en ligne, j’en suis arrivé à découvrir le terrible incendie du Collège Sacré-Cœur de Saint-Hyacinthe.





                J'encadre en jaune, (vous l'aurez compris), la section occupée par la photo du bouquin. 

C’était un collège où les élèves recevaient une instruction poussée en mathématiques, physique et chimie, pour être aptes à parfaire leur instruction dans des sphères plus élevées. Au début des années 1930, le collège mettait à l’emphase l’enseignement de la langue anglaise : les mathématiques et la géographie, entre autres, y étaient enseignées en cette langue. 



Un soir de janvier 1938, un incendie s’est déclaré. Aux cris des élèves rassemblés sur le toit et criant au secours, se mêlaient les plaintes de ceux qui s’étaient jetés des étages supérieurs et qui gisaient déjà dans la neige souffrant d’horribles brûlures et de multiples fractures. 

Une cinquantaine de personnes ont péri.



Dans le bouquin, sur la page suivante, on ne voit plus d’annotations studieuses. On commence à lire des poèmes.


En fait, le moindre espace blanc est occupé par un poème, ou un  brouillon de poème.



Celui-ci s’intitule « The morning lark » ; c’est un texte de James Thomson. On peut lire des poèmes de nombreux auteurs, mais d’autres qui me semblent des compositions personnelles : d’une part parce qu’on ne trouve rien sur Internet en les recopiant, d’autre part parce qu’on peut y voir le processus créatif à l’œuvre : des ratures, des changements de synonymes, des chiffres au-dessus des phrases pour compter les pieds des vers.

L’un des poèmes est totalement illisible parce que l’encre a coulé sous de multiples gouttes d’eau — j’ai tendance à croire que ce sont des larmes.


Car le propriétaire du bouquin et le jeune garçon sur la photo vivaient une idylle secrète : à ce sujet, les poèmes sont très clairs.  Par pudeur, par respect, ils ne seront pas reproduits sur ce blogue. Je reviendrai sur mes raisons plus bas.


Ce sont de très beaux poèmes, presque tous des sonnets en alexandrins, avec rimes riches à la fin du vers et rimes secondaires à l’hémistiche. La moitié d’eux parlent des beautés de la nature, de l’âme qui s’émeut face aux merveilles du monde ; les autres évoquent le deuil, de mort, d’amour perdu, de souffrance. 

La plupart mettent l’accent sur la souffrance de vivre un deuil en secret, sans épaule où pleurer, sans oreilles à se confier. 


Comme il a dû souffrir. C’est inhumain. J’essaie d’imaginer comment je me sentirais si ma belle Sonya mourrait de manière atroce et que je n’aurais pas le droit d’en parler à qui que ce soit jusqu’à ce que le temps panse mes plaies… 


Ça m’a bouleversé. 


À notre époque, l’homosexualité n’est plus taboue. Cachés dans un bouquin pendant presque un siècle, les poèmes de ce jeune homme sont restés secrets jusqu’à ce qu’ils puissent trouver un lecteur qui n’aurait aucun préjugé à ce sujet. J’ai lu ces poèmes, j’ai compatis à son chagrin, j’ai souffert en découvrant son histoire tragique. J’aurais voulu le prendre dans mes bras, lui offrir mon épaule pour qu’il puisse y pleurer. 

Je me souviens d’une nouvelle (le titre m’échappe), publiée dans un Territoires de l’Inquiétude, où un étudiant achète un vieux secrétaire et parvient à envoyer des lettres à un siècle dans le passé pour réconforter une demoiselle de l’âge victorien qui subira un mariage arrangé.

Parfois, on se prend à rêver que ce soit possible.

Même si ça entre en contradiction avec mon esprit scientifique, j’ai envie d’espérer qu’à travers le temps et l’espace, il a perçu un peu de réconfort provenant de ce cabinetier qui, dans le futur, avait l’état d’esprit pour être le confident dont il aurait eu besoin.


Mais passons…


Car cet étudiant-là aussi avait inscrit son nom dans son manuel. Son nom et son adresse. Connaissant ces deux éléments, ainsi que le nom du Collège où il étudiait et en quelle année, j’ai pu retrouver sa photo sur un tableau de finissants. J’ai pu mettre un visage sur ce jeune homme.  

J’ai aussi pu savoir qu’il a travaillé à La Pocatière avant de devenir professeur dans une université prestigieuse. 

Il s’est éteint en 2007, laissant dans le deuil une épouse, des enfants et des petits-enfants. Alors voilà la raison pour laquelle je ne le nomme pas, pour laquelle je ne recopie pas les poèmes. J’ignore ce que sa famille en penserait. J’ignore comment elle réagirait. J'ignore comment LUI aurait réagi.


Adolescent, j’avais un journal intime ; si quelqu’un le retrouvait et le rendait public, je ne serais vraiment pas à l’aise avec cela.


Peut-être pourrais-je contacter les descendants (la notice nécrologique me les nomme tous) et leur demander ce qu’ils en pensent ? Les poèmes sont magnifiques, de très bon calibre, et il y aurait de quoi en faire un recueil… devrait-on ? 


Je ne sais pas trop quoi faire avec ces révélations que je suis allé moi-même extirper du passé. Mais vous comprendrez que désormais, ce vieux bouquin de sciences occupe une place privilégiée dans mon cabinet.


J’ai quelques autres objets, comme ça… peut-être en parlerai-je un jour.





lundi 15 novembre 2021

Merci Mareep !!

Une amie a décidé de m'offrir une curiosité bien spéciale :



Bah oui, on a posé de la brique dans le salon le weekend dernier, ça fait un bel arrière-plan


Il s'agit d'un crâne de Calao à cuisses blanches femelle.




Sur ce montage appartenant à un collègue cabinetier, on peut voir la différence entre le crâne du mâle et celui de la femelle.



Leur aire de distribution s'étend du Bénin et du Nigéria en direction de l'est jusqu'au Soudan et en Ouganda. La limite sud de leur territoire se situe au niveau du centre de la République Démocratique du Congo et du nord de l'Angola. 

Ils vivent généralement dans les vastes étendues de forêt primaire n'ayant subi aucune modification. Ils se nourrissent surtout de fruits, et occasionnellement d'insectes et d'œufs.




Après la ponte de ses oeufs, la femelle utilise de la boue pour sceller l'entrée du nid où elle s'enferme avec les oisillons jusqu'à ce que ceux-ci soient aptes à s'envoler. Le mâle pourvoie les matériaux, il avale de la boue qu'il rapporte au nid et qu'il régurgite pour à la femelle. Celle-ci laisse juste un étroite ouverture pour que le mâle puisse lui amener de la nourriture.


La population globale est en déclin léger à cause de la déforestation mais n'est pas considérée comme préoccupante. Cette espèce, ainsi que d'autres calaos, est protégée par certains tabous qui interdisent aux populations locales de la tuer ou de s'en emparer ; le braconnage et la capture sont surtout l'acte de braconniers occidentaux ou asiatiques. 


Fort heureusement pour lui, le calao à cuisses blanches n'a pas un bec convoité pour la fabrication "d'ivoire" comme son cousin, le calao à casque rouge qui, lui, risque l'extinction. Son "casque" renferme une belle matière à sculpter, si lisse et soyeuse qu’on la désigne souvent comme "ivoire d’or"  ou "ivoire rouge". Environ 6000 sont tués chaque année.  




Même si le calao à cuisses blanches ne subit pas ce sort, sa population décline un peu ; c'est donc un soulagement de savoir que le spécimen que je possède ne provient pas du braconnage. Il fut obtenu par l'entremise d'un vétérinaire. Le crâne vient d'un oiseau domestique très âgé et très souffrant pour lequel l'euthanasie était la solution la plus humaine. 


***



Et pour répondre à la question qu'on m'a souvent posée...

Oui, je peux parfois acheter la dépouille d'un animal domestique exotique, SI ET SEULEMENT SI :

- vous fournissez une copie du diagnostic du vétérinaire attestant que c'était la seule solution ;

- vous fournissez une copie d'une preuve d'euthanasie en clinique vétérinaire ;

- vous veillez à me fournir une traçabilité de l'origine de l'animal (éleveur, importateur certifié).

Ne vous attendez pas à faire fortune avec moi ; en général, je rembourse les frais d'euthanasie et offre un petit supplément symbolique. Notez bien que je ne fais pas de montage ostéologique pour d'autres personnes que moi-même.

   

mardi 9 novembre 2021

L'Art du catalogue

 La plupart d’entre vous le savent, j’ai acheté une maison le printemps dernier et depuis, je suis dans les rénovations par-dessus la tête. Ce qui signifie, entre autre, que je n’ai pas encore de bureau et que je travaille à la table de la cuisine ; que mes livres sont toujours empaquetés et que c’est la même chose pour mes curiosités. C’est bien dommage parce que j’ai des dizaines de merveilles qui attendent d’être montrées — toutefois explorer le garage pour retrouver la bonne boîte est un exploit qui relève des aventures d’Indiana Jones…

Ça me met dans une situation assez difficile considérant que la lecture, l’écriture et mon cabinet sont les principaux exutoires qui me permettent de vivre avec mon trouble anxieux.

Alors j’ai décidé de travailler sur mon cabinet d’une façon différente, c’est-à-dire d’en dresser le catalogue.


Je reviendrai éventuellement sur les catalogues en plusieurs billets — c’est un sujet qui mérite que l’on s’y attarde longuement. Certaines collections furent cataloguées avec un tel soin que les catalogues sont d’extraordinaires œuvres d’arts en même temps que de fabuleux compendiums scientifiques — ils mêlent savoir et émerveillement, et sont donc en eux-mêmes des « cabinets de papier », en plus d’être des artificialia qui méritent de siéger dans n’importe quel cabinet.


Il s'agit, avec les bestiaires, des ancêtres des encyclopédies visuelles.


Le Wondertooneel der Nature est d’ailleurs l’un des plus connus.










Je n’ai malheureusement pas le talent artistique pour dessiner mes curiosités. Je croyais d’abord devoir me résigner aux photographies, puis j’ai songé qu’avec le Flickr de Biodiversity Heritage Library, je pourrais ramasser des illustrations de mes spécimens et les rassembler sur une même page grâce à mes modestes talents de Photoshop.


Mon catalogue est donc divisé en cinq parties : les classiques Naturalia, Scientifica, Exotica et Artificialia, auxquels j’ai décidé d’ajouter la section Mythica, pour les canulars, les créatures mythiques, les cartes de continents légendaires et divers objets liés aux croyances spirites.

Chacun de ces grands chapitres dispose d’une page-titre en couleur comme celle-ci.




Par la suite, chaque sous divisions sera représentée par une page-titre en noir et blanc portant une gravure ; elles ne sont pas encore faites.




Puis vient une lettrine pour chaque chapitre…




…et finalement, chaque genre et espèces (dans le cas ci-dessous, Conus).

Chaque espèce est présentée par son nom et une courte description de faits que je juge intéressants. Puis cela se termine par des planches artistiques. Ceci en est une que j’ai téléchargée de Heritage Library…




…et avec plusieurs comme celles-ci, j’ai pu me faire une planche qui recense tous mes Conus.





J’ai décidé d’ajouter également une planche qui explique la façon dont ces coquillages chassent parce qu’il faut l’admettre, c’est assez impressionnant.



Et voilà ! J’ai de quoi m’occuper jusqu’à ce que mes rénovations soient terminées, et même au-delà… car je dois admettre que c’est un vrai travail de moine (mais ô combien enrichissant !) de fouiller les plus de 300 000 illustrations de la Biodiversity Heritage Library… mais ça occupe l’esprit, ça chasse les pensées-parasites et par la suite, on dort mieux avec la tête pleine d’œuvres scientifiques qu’avec la tête pleine d’angoisses… 


Je termine en vous montrant quelques échantillons des vingt-neuf planches que j’ai photoshopé jusqu’à maintenant.  









jeudi 4 novembre 2021

Adopter la bonne optique...

J’ai récemment conclu un échange avec un collectionneur qui me laisse perplexe (l’échange, pas le collectionneur).


Dans un premier temps, les échanges entre collectionneurs et cabinetiers sont toujours un peu délicats : les collectionneurs sont très spécialisés, recherchent la moindre variante de chaque élément et ont un champ plutôt restreint. Les cabinetiers, je l’ai déjà expliqué, ramassent un peu de tout.


Quand on est approché par un collectionneur, il faut se préparer au fait qu’il en sait probablement plus long que nous sur son domaine de spécialité. Il faut donc aborder l’échange dans le bon état d’esprit. Inutile d’essayer de « gagner » ou d’avoir « le meilleur échange » ; il faut généralement un autre collectionneur pour lui tenir tête à ce jeu. La bonne approche pour un cabinetier consiste à se dire « je vais offrir quelque chose qui m’émerveille moins (ou que j’ai en double) en échange de quelque chose qui m’émerveille beaucoup ». Et basta pour la valeur marchande !


C’est dans cette optique (!) que j’ai conduit mon échange avec un collectionneur italien de spécimens naturels (le web est une chose merveilleuse pour ce qui est des rencontres internationales !). Le monsieur possède une collection qui occupe toute sa maison, ce qui inclut plus de 10 000 insectes, 6000 minéraux, 400 crânes et des herbiers s’étalant sur 30 mètres de tablettes.


Le monsieur rachète souvent d’anciens lots, lesquels sont souvent accompagnés de livres et d’appareils scientifiques anciens — ce qui ne l’intéresse aucunement. Revendre ces objets chez des antiquaires (ce qui, là aussi, est un sacré jeu de « qui va gagner ? ») ne l’intéresse pas car il ne désire pas se tenir au courant des prix ; de plus, les lois italiennes l’obligeraient à déclarer ce revenu. 


Il lui est donc plus rentable, pour sa collection, de s’adresser aux cabinetiers. 


Parler à d’autres collectionneurs ne l’amènerait pas à grand-chose : ou bien ils collectionnent la même chose que lui et ne seront pas intéressés par les appareils scientifiques ; ou bien ils collectionnent les appareils scientifiques et n’auront rien à lui offrir en échange.


C’est à ce moment que les rencontres cabinetiers/collectionneurs sont fructueuses. Comme il possède déjà une vaste collection de spécimens européens, asiatiques, africains et sud-américains, il s’est tourné vers l’Australie et l’Amérique du Nord. Je fus le premier à lui proposer un lot à son goût (les lois du Québec sont plus lousses à ce sujet, sauf pour le CITES bien sûr) et c’est ainsi que, pour 28 échantillons de minéraux du Québec, deux fossiles de Ste-Catherine de la Jacques-Cartier, dix-huit insectes québécois, un crâne de pékan, de cerf de virginie et de caribou, divers végétaux secs (trilles rouges et blancs, droséra et sarracénie, notamment) et quelques autres trucs, j’ai pu obtenir ce splendide télescope.



Désolé pour l'arrière-plan, j'ai pas fini mes rénovations...


Je le dis tout de suite : le monsieur n’avait aucune idée de l’authenticité du télescope, ni de son âge et me l’échangeait « tel que vu ». Il a été très honnête là-dessus (considérant qu'il compte sur moi pour enrichir davantage sa collection, il a tout intérêt à l'être !).

 

Je ne sais pas trop quoi penser de cet échange. J’en suis très satisfait, bien sûr : comme je n’ai donné que des spécimens que j’avais en double, alors je n’ai rien perdu… mais est-ce un vrai télescope d’époque ou est-ce une copie ?




Le premier truc à spécifier, c’est qu’il fonctionne. Je ne suis vraiment pas un spécialiste en matière de télescope, mais en me basant sur le télescope que mon frère avait quand il était adolescent, je dirais que l’image est claire jusqu’à environ à 30X... au pif.




Bref, si c’est une copie, c’est une copie qui fonctionne.

Les matériaux sont aussi authentiques. Le bois du trépied est de l’érable, ça j’en suis assez sûr côté poids, texture, absorption de la cire (lors de la restauration) et odeur (lors du micro-ponçage des petits éclats) — je commence à m’y connaître en essences de bois à force de fabriquer des meubles et des armoires.



Le télescope lui-même est en laiton massif, très lourd. Il porte l’inscription « H Fitz New York » : Henry Fitz était l'un des premiers fabricants américains de télescopes importants. D’abord astronome amateur, il a fondé une entreprise prospère d’appareils d’observation, et quarante pour cent de tous les télescopes vendus aux États-Unis de 1840 à 1855 venaient de son entreprise. 



Bon, c’est bien beau tout ça mais encore une fois, est-ce authentique ? Les copies d’antiquités abondent sur le web ; même chez Renaud Bray, vous pouvez acheter des copies de longue-vue en laiton avec imitation du sceau du fabricant d’origine, pour une cinquantaine de dollars… bon, mon télescope est quand même beaucoup plus imposant que ces décorations de bureau, mais quand même… 

J’en saurai sûrement davantage à mon prochain rendez-vous chez monsieur et madame Bolduc…



À suivre !

L’important dans tout cela c’est que, copie ou non, j’adore ma nouvelle acquisition obtenue en échange de mes doublons. Et c’est tout ce qui compte !