mercredi 18 décembre 2019

Demande spéciale : les nervures de la feuille


À la demande d’une amie enseignante en sixième année primaire, madame Carelle, voici un billet spécial sur les nervures des feuilles. Il sera donc écrit spécifiquement pour ce lectorat.


Les nervures d'une feuille sont des prolongements de la queue de la feuille, dont le vrai nom est pétiole.  

L'ensemble des nervures d'une feuille constitue la nervuration.

On peut comparer les nervures d’une feuille aux veines du corps humain. Les veines font circuler le sang alors que les nervures font circuler l’eau et la sève, qui est le « sang » de la plante.

Mais les nervures de la feuille forment aussi son « squelette ».

Il y a cinq façons dont les nervures peuvent être disposées :




Elles ont toutes un nom facile à trouver sur Internet pour les plus curieux.

Lorsque l’on regarde une feuille de près, on peut généralement voir ses nervures principales : ce sont les plus grosses. Mais il y a aussi des nervures secondaires et tertiaires, plus petites et difficiles à distinguer (surtout pour les feuilles du type B sur l’image ci-dessus).


Voici donc une curiosité végétale de mon cabinet :


On dirait que la feuille est intacte parce qu’elle est sur un fond noir. Mais en réalité, il ne reste que ses nervures. C’est plus facile à voir si je la pose sur ces blocs colorés…


Comment est-ce possible ? C’est que les feuilles se décomposent en deux phases principales : d’abord la partie « molle » de la feuille (disons sa « peau ») sera dévorée par de minuscules animaux nommés « détritivores » (si « herbivore » veut dire « manger de l’herbe », « détritivore » veut dire « manger des détritus », un autre mot pour dire « ordures »).

Une fois que les détritivores ont mangés les parties molles de la feuille, il ne reste que les nervures (exactement comme quand un animal décompose, son squelette reste beaucoup plus longtemps). C’est à ce moment que cette feuille a été ramassée. Si on l’avait laissée là, elle aurait vite achevé de se décomposer.





Impression libre tant que l'URL de la page web est indiqué en note infrapaginale.

mardi 17 décembre 2019

Fantastiques végétaux


Les merveilles du règne végétal avaient leur place, bien entendu, dans tout bon cabinet : certains étaient même spécialisés en spécimens botaniques.

Je n’ai vraiment pas le pouce vert et Sonya, en dépit de toute sa bonne volonté, est à peine plus habile que moi en la matière. J’ai donc décidé de tenir un herbier dont j’ai déjà exposé quelques spécimens et commencé à ramasser les noix les plus étranges que je croise.

Néanmoins, les canulars sont également nombreux dans les curiosités végétales. J’ai déjà montré mon prétendu bois du terrible Umdhlebi.






Voici maintenant un classique...

Racine de mandragore

Sur le plan strictement botanique, la Mandragore (ou Mandragora officinarum) est un végétal appartenant à la grande famille des solanacées (on peut par exemple citer la pomme de terre et la tomate dans cette catégorie de plantes) que l'on trouve principalement dans les pays qui forment le bassin méditerranéen (plus précisément, dans le lit des rivières à sec).

L'aspect visible de la Mandragore prend la forme d'une touffe végétale (d'une hauteur moyenne de 30 centimètres) composée de larges feuilles gaufrées, rehaussées de fleurs à 5 pétales de couleur blanche (tirant sur le verdâtre), bleue ou mauve. A maturité, la plante donne naissance à des baies comestibles (avec modération) jaunes ou rouges de 3 à 5 centimètres de diamètre.



Outre son ravissant feuillage, la solanacée est également pourvue de racines de type pivotant (dotée d'une base droite où s'ajouteront latéralement d'autres racines) qui peuvent s'enfoncer profondément dans le sol et atteindre 80 centimètres de longueur pour un poids de plusieurs kilos, dont la forme générale n'est pas sans rappeler (vaguement) un être humain.



Doté de surnoms divers et variés ("mains de gloire", "madagloire", "pomme d'amour", "pomme de chien", "belladone sans tige", "Dudaïm", "Jabora",...), la Mandragore a été maintes fois associée aux pratiques magiques. On prétendait jadis que la mandragore poussait un cri mortel lorsqu’on l’arrachait. Les alchimistes l’attachaient donc à un chien, puis lançaient une friandise pour que celui-ci arrache la plante et meurt à la place de son maître (lequel n’a jamais songé, par exemple, à attacher la plante à un lourd tronc qu’il ferait chuter)…

Traditionnellement, la racine de Mandragore peut servir de talisman (elle confère à son porteur une certaine protection, la chance, la richesse et aide les pratiquants des arts divinatoires) ou remplacer les fameuses statuettes de cire employées dans les envoûtements.

Il s’agissait de pièces très convoitées dans un cabinet.

Voici la mienne :


Creepy……..


En fait, il ne s’agit pas du tout d’une racine de mandragore mais bien d’un montage de quelques panais séchés.

Voici la procédure :

1) Taillez quelques panais pour faire le tronc et les membres de votre mandragore factice.


2) Fixer le tout avec des cure-dents.


3) Laissez sécher au soleil. Comme sa cousine la carotte, le panais est une racine. Il se préservera comme du bois.



4) Coupez les bouts de cure-dent qui dépassent et solidifier à la Crazy glue.




Fleur de Baara

Malheureusement, il s’agit d’une création de l’histoire naturelle médiévale que l’on a oublié avec le temps (comme le trolual dont j’ai déjà parlé). Il s’agit toutefois d’une de mes préférées. 

Plante dite « ignée », sa fleur ressemble à une flamme. « Cette plante est d'une couleur qui ressemble à celle du feu. Vers le soir, les rayons qu'elle émet sur ceux qui s'avancent pour la saisir en rendent la cueillaison difficile. » écrivait Flavius Josephe.


Pierre Boiastuau qui a écrit au XVIe siècle, un livre sur les prodiges intitulé Histoires prodigieuses, où il prétend qu'elle a une « couleur & splendeur de flamme, & éclairoit de nuict comme une lampe ». Il nous fournit également une gravure qui permet de voir que selon lui la Baara n'émet plus des rayons mais est capable de produire des véritables flammes.



J’adore l’idée d’une plante ignée.

Ma fleur de Baara est une simple célosie plumeuse rouge (celosia plumosa pyramidalis). 



Je l’ai fait sécher la tête en bas, puis mise sous verre.


Ressemblant, non ?




Palingénésie

Quête peu connue des alchimistes, la palingénésie consiste à ramener à la vie divers éléments morts de la nature — par exemple, faire jaillir un arbre à partir de cendres de bois.


On peut voir ici un portrait de l’alchimiste Paracelse s’adonnant à cette pratique 
par J. Augustus Knapp (1895).



De façon plus générale, la palingénésie est plus simplement le retour à la vie des divers éléments de la nature. Les plantes se nourrissent de minéraux, les animaux se nourrissent de plantes, les hommes se nourrissent des animaux ou de leurs produits ; en respirant, tout vivant assimile germes et poussières... Dans ce cycle toujours recommencé, les composants de la vie s'échangent, se redistribuent après la mort. C'est la palingénésie universelle (les alchimistes ne cherchaient pas qu'à produire de l'or. Outre la palingénésie, leurs recherches sur les mécanismes de la vie incluent les quêtes de l'homoncule, du takwin (variante arabe du précédant), de la génération spontanée, de la réanimation des corps et de la panacée universelle)...

J’ai décidé de m’adonner à l’expérience (celle de la palingénésie), ou du moins à quelque chose qui y ressemble…

J’avais lu un article où un monsieur gardait dans une bouteille scellée une plante qui vivait depuis 40 ans sans aucun apport extérieur. Un véritable écosystème fermé !


Vous ne trouvez pas qu'il ressemble au portrait de Paracelse plus haut ? Creepy.... 


La décomposition des feuilles fourni le CO2 et les nutriments, la plante rejette de l’humidité qui s’accumule sur le verre et arrose le sol. De la vraie palingénésie ! 

Voici mon humble essai… on verra si la culture "en bouteille" me fera verdir le pouce...






mardi 3 décembre 2019

Brevets scientifiques


Au début de ce blog, j’ai parlé des planches naturalistes vendues à gros prix alors qu’on peut en fabriquer pour quelques sous.



Je reviens avec un principe similaire.

On voit de plus en plus de ces dessins tirés de brevets, exposés sur un mur. J’admets qu’il s’agit là d’un très bel ajout pour un cabinet, un artificialia/scientifica fort intéressant qui s’agencerait très bien (pourquoi pas) avec une esquisse de Da Vinci.



Le prix fait sursauter : 18,93 $ ! 
Et ici, ce n’est que pour l’objet en proportions 5 x 7. Pour un format poster 18 x 24, il faudra sortir vingt dollars de plus, soit 38,93 $, plus taxes et frais postaux, pour un total costaud de 52,58 $...

(à un moment donné, ça s'appelle "rire du monde")

Permettez-moi de vous montrer comment obtenir la même chose pour beaucoup moins cher et avec un éventail de choix quasi-illimité. Le 5 x 7 coûtera seulement 1,24 $ et le 18 x 24, 9,88 $ (taxes incluses et sans frais postaux).

Peu de gens savent que Google possède un outil de recherche pour les brevets.


https://patents.google.com/


Il vous suffit d’entrer l’invention de votre choix…



Vous pouvez aussi restreindre la recherche par année (ici, j’ai mis un maximum de 1920) ou rechercher par inventeur.



Vous obtiendrez le brevet de votre choix en version HD.



Vous pouvez dès lors l’imprimer tel quel à partir de votre imprimante, à la dimension de votre choix. Pour un effet « vieux papier », le Dollarama vend ce paquet pour 2$.


Le papier journal donnera aussi de très bons résultats, surtout si vous le laissez jaunir quelques temps devant une fenêtre exposée au soleil.


Si vous désirez raffiner l’effet, voici deux manipulations faciles à faire en Photoshop.

Pour un effet craie sur tableau noir : il suffit de soumettre l’image à un effet négatif en faisant CTRL + i.


Pour un effet vieux papier : Dans Google image, googlez « Free old paper texture HD ». Choisissez l’effet qui vous séduit. En Photoshop, ouvrez votre image de brevet sur le calque supérieur, l’image de texture parchemin sur calque inférieur, puis appliquer un effet calque « Fondu » sur le brevet.


Imprimer pour pas cher : pour un 5 x 7, je suggère de sortir au comptoir photo d’une pharmacie, en fini mat, pour 1,24 $. Pour une impression couleur jusqu’à 8 ½ x 14, je propose Bureau en Gros en libre-service, pour 2,58 $. La même boutique peut vous sortir un format 18 x 24 pour moins de dix dollars.

Et voilà !

samedi 30 novembre 2019

Présentoir entomologique (entomologie - 6)


J’achève de monter les spécimens que j’ai capturé durant l’été… voici où j’en suis.





Montage en mouvement figé.

J’avais vu un montage comme celui-ci dans un musée et j’en voulais absolument un.
Là vous me demanderez où est passée mon éthique du spécimen unique…





Du calme… ces scarabées, dits « scarabées japonais », sont une espèce étrangère envahissante. Ils ont probablement été introduit dans des produits agricoles en provenance du Japon. Au Canada, c’est en 1939 que le premier scarabée japonais a été observé.

Typiquement, lorsqu’un scarabée japonais a terminé de s’alimenter sur une feuille, il ne reste plus qu’un squelette de nervures. Cet insecte peut donc réduire grandement la proportion de plantes cultivables et ainsi ruiner les récoltes en plus de causer des pertes économiques importantes.

Au Japon, l’insecte n’est pas considéré comme une espèce nuisible parce qu’une foule de prédateurs, de parasites, de virus, de bactéries et de pathogénies réduisent les populations.

Donc je n’ai eu aucun remord à cueillir (littéralement : ils sont des dizaines et restent très passifs) plusieurs scarabées japonais dans le potager de mon amie.



Reste que je les trouve magnifiques… ils sont donc parfait pour ce montage dit « en mouvement figé ».

Avant l’invention du cinéma (ou plutôt de ses ancêtres — zootrope, praxinoscope et zoopraxiscope), les modèles en mouvement figé étaient la meilleure façon d’étudier le mouvement chez les insectes.




Praxinoscope et effet visuel de cet appareil — j’ai déniché un tutoriel pour en fabriquer un, que je compte faire l’été prochain pour montrer le vol d’un colibri.

Sur mon modèle en mouvement figé, on peut voir le scarabée en posture de repos (en bas), puis se dresser sur ses pattes (partie inférieure), ouvrir ses ailes (partie supérieure) et en posture de vol (en haut).



Ce fut mon montage le plus long à faire et j’y ai perdu la moitié des spécimens capturés dans ma quête des poses parfaites. Le socle est un pied d’affichette du Dollarama, coupé à sa base et percé d’un trou où j’ai enfoncé une baguette chinoise. Le dôme est simple un verre pour boire.



Castes myrmécéennes

Les fourmis constituent la famille des formicidés et, avec les guêpes et les abeilles, sont classées dans l’ordre des hyménoptères. Ces insectes sont dits « eusociaux » : forment des colonies, extrêmement complexes, contenant de quelques dizaines à plusieurs millions d’individus. Certaines espèces forment des supercolonies à plusieurs centaines de millions d’individus.



Les fourmis fossiles les plus anciennes sont datées de l'Albien, un étage géologique vieux d'environ 100 millions d’années mais on estime que les premières espèces pourraient être apparues au Crétacé inférieur, entre 120 et 143 millions d'années. Les fourmis semblent avoir divergé d’insectes apparentés à des guêpes solitaires (certaines espèces de fourmi ont d'ailleurs conservé un dard et seules les ouvrières ont perdu leurs ailes)


Ici, on peut voir trois castes de la fourmi charpentière : ouvrière, soldate et reine, ainsi qu’un œuf.
J'espère que l'une d'elle est celle qui a refusé l'aide à la cigale. Mais comme les Fables datent de plusieurs siècles, j'en doute...

Environ 1% des espèces de fourmis recensées dans le monde sont des fourmis sans reine. Elles vivent au sein de colonies très réduites dans lesquelles certaines ouvrières se reproduisent. Le privilège de la reproduction est le fruit d’une organisation hiérarchique, où l’individu dominant de la colonie occupe cette place centrale. Son privilège reproductif pourra être remis en cause par des rivales.




Et qu’est-ce que j’ai d’autre… ?



Quelques insectes que j’ai monté comme les pièces d’un cabinet français...


Mon modèle, cabinet Prévert à Nancy

Ce longicorne ramassé dans un sureau...



…deux mouches aux éclats métalliques, une bleue et une verte (sous le bon éclairage, l’effet est impressionnant)…



…une guêpe bleue, elle aussi avec des reflets métalliques (j’adore les insectes métalliques, je les trouve magnifiques. Je chercherai des cicindèles l’été prochain)…


…coléoptère charognard trouvé mort au pied d’un réverbère…



…ah ! ici on peut voir d’autres coléoptères en vrac, parmi lesquels un hanneton aux ailes déployées, de multiples variétés de coccinelles et d’autres insectes qu’il me reste à identifier (ma sabbatique est finie, alors le temps me manque)…


…un nid de guêpe abandonné. Je ne suis pas équipé pour le photographier adéquatement, mais on peut y voir les alvéoles en regardant sons le bon angle…


…deux stratégies chromatiques des papillons de nuit : le camouflage (à gauche, sur écorce de bouleau) et la blancheur immaculée (les papillons volent alors en masses, ce qui rend leur capture difficile pour le prédateur — exactement le même effet que les troupeaux de zèbres)…


…il arrive, malheureusement, qu’un papillon déchire ses ailes dans mon filet. Dans ces cas-là (c’est arrivé deux fois), je place les morceaux intacts dans une fiole afin que le papillon ne soit pas mort pour rien.


(Parenthèses : il me faudra me fabriquer un autre filet l’an prochain : les mailles de mon filet sont trop larges, dixit les forums, d’où les accidents. On me recommande du tissu translucide blanc comme pour les rideaux d’intimité).



Bon, bon, bon… et comment j’ai patenté mes montages ?

Avec un peu n’importe quoi. Chaque montage m’a coûté un ou deux dollars. Les coupoles de ma (désormais traditionnelle) chandelle du Dollarama, des verres à 55 cents à la Ressourcerie, le couvercle de verre des coléoptères provient d’un vieux beurrier, des fioles et des éprouvettes à 3/1$ chez Maxi-Dollars... les bases de bois proviennent d’un ensemble de sous-verres (Ressourcerie, 85 cents) et de retailles de mes rénos.

lundi 25 novembre 2019

Sur la piste d’un confrère naturaliste oublié…


La vie est pleine de surprises. Certains appellent cela le destin, d’autres la synchronicité.

Moi, j’appelle ça « les cailloux d’Iptit » (les fans de la Grande Dame comprendront l’allusion).

Il n’y a pas si longtemps, de passage chez Écolivres, je suis tombé sur ce magnifique livre de comptes, ou ledger




Le bouquin était encore vierge (du moins le pensai-je) et je me suis dit « Quel fantastique livre de notes pour mon bureau/cabinet » ! À 10$ pour 500 pages format 11 x 14, ça revenait moins cher que des cahiers Canada et… que dire du côté poétique de l’objet !?




En plus, il fite avec mon étui de cellulaire…

Et comme dans bien des romans d’enquête, cet achat anodin d’une antiquité allait me lancer sur les traces de mystères brumeux…

La première chose qui a attiré mon attention, alors que je tournais une page du livre à la lumière de ma lampe de bureau, fut la présence d’un filigrane à travers le papier.





Photo du filigrane à travers une fenêtre (pas facile à voir, je sais).




Filigrane avec effet Négatif NB en Photoshop.

En voulant vérifier si ce filigrane était sur chaque page, je me suis d’abord rendu compte qu’il n’y en avait pas un, mais deux…




…et aussi à des endroits aléatoires se trouvaient des notes liturgiques.



Ici, une liste de messes anniversaires à souligner



Là, une liste de mariages à célébrer


Quelques notes éparses jetées au hasard des pages


Je me suis donc mis à tourner chaque page, curieux de voir ce que j’y trouverais…

Sur une page , cette étrange liste :


Après m’être arraché les yeux, j’ai fini par comprendre que la liste recensait diverses espèces animales, soit d’abord des suinés :

Babiroussa
Phacochère
Potamochère
Hylochère
Sanglier
Porc
Pécari

Puis un mot qui m’était inconnu :

Sukotyro

Et finalement un animal qui n’avait aucun rapport avec les suinés, c’est-à-dire l’hippopotame. Ça, c’était franchement bizarre et je me demandais bien ce que ça fichait dans un journal liturgique… 

D’abord, j’étais trop intrigué par le mot inconnu de la liste d’animaux, alors j’ai fouillé Google. J’ai découvert que le sukotyro est un animal dont on a débattu l’existence jusqu’au milieu du XXe siècle. Il s’agirait d’un suidé vivant à Java, de bonne taille et ayant des défenses longues et droites.



Un ouvrage du XIXe siècle débattant sur l’existence du sukotyro.

Donc, un autre animal porcin. Peu après, j’ai appris que jusqu'en 1985, les naturalistes regroupaient les hippopotames avec la famille des Suidae (porcs et sangliers) ou à celle des Tayassuidae (pécaris).

Bref, une liste des animaux apparentés au cochon.
Cool. 
Mais ça mène où ? Et qu’est-ce que ça fout là ?
Le Sherlock en herbes que je suis reprend son enquête.

L’entête d’une liste des décès indique PSJ Lauzon.


Ergo : Paroisse Saint-Joseph de Lauzon (Élémentaire mon cher Watson, bien que Sherlock n’aie jamais utilisé cette phrase dans les récits de Doyle).

C’est alors que j’ai eu une illumination…

 Vous vous souviendrez (probablement pas) que dans mon billet Entomologie (4) : papillons diurnes, je montrais ce cadre de papillons et j’expliquais que « un antiquaire a reçu divers objets ayant appartenu à un curé s’étant adonné aux sciences naturelles. Il m’a cédé le cadre pour 15$, mais m’a dit avoir jeté (horreur !) des herbiers, de journaux privés et de vieux manuels scientifiques ».


J’habite à Lévis et l’antiquaire dont je vous parle est précisément situé dans le secteur Lauzon…

L’un des journaux, considéré vierge, aurait-il abouti chez Écolivres ?

Derechef, je téléphone à l’antiquaire. Il se souvient bien de ce lot ayant appartenu audit curé, et confirme mes soupçons : il a cédé un journal « vierge » à la bouquinerie, laquelle a une section « livres anciens » d’où je tire plusieurs de mes anciens ouvrages scientifiques (voir mon billet Les livres anciens).  

Ah-HA ! BINGO !

Alors maintenant, il me fallait identifier qui était ce défunt confrère naturaliste…

Les noms figurant sur la liste des décès et des mariages permettent de fixer une année (1939). Une fouille rapide dans la BANQ permet de découvrir que le curé de la paroisse fut, à cette époque, Hipolite Bernier, aumônier du camp militaire de Lauzon (de 1909 à 1940). Il fut difficile d’en découvrir davantage sur ce personnage, mais après deux heures de recherches en variant les mots-clés, j’ai fini par découvrir un extrait de la correspondance du frère Marie Victorin (le pionnier de la botanique québécoise) où le digne botaniste fait mention des herbiers de « Hippolyte B, ptr, paroisse St-J.L », qu’il aurait ramené « de Ceylan après la Grande Guerre ».

Il y a fort à parier que Marie Victorin s’est trompé en orthographiant le prénom de son coreligionnaire. L’idée qu’un aumônier se soit déplacé dans un dominion britannique durant la Grande Guerre (la première, bien sûr) est parfaitement possible (Ceylan étant l’ancien nom du Sri Lanka).

Maintenant que je disposais d’une théorie crédible sur l’ancien propriétaire de ce journal, il me fallait dater ledit objet.

Le site Archives Fine Books (https://www.archivesfinebooks.com) décrit quelques ouvrages portant un filigrane similaire à mon document :  The leaves are lightly ruled with a wide 8cm margin and the watermark reads “Monksburn” above the image of a book with the words “Air Dried” below.

Ta-daaaaaaa !

La plupart des ouvrages portant ce filigrane sont daté de fin 1800 – début 1900. Voilà qui laisse supposer que notre aumônier aurait pu les acheter avant son voyage à Ceylan…

…peut-être même est-ce durant ce voyage qu’il aurait entendu parler du sukotyro, l’île de Java n’étant pas éloigné (d’un point de vue occidental et toutes proportions gardées) du Sri Lanka. Mais on ne saura jamais pourquoi le curé Bernier a dressé cette liste de parents du cochon...
 
...me laissant aller à rêver, je compare son sukotyro au légendaire baku du Japon...



Ok, Java est loin du Japon, mais pas plus que le tapir de Malaisie, qu'on considère généralement à la source de cette légende...




Lequel ressemble le plus au baku ? 


Et bon… tout cela n’est que pures spéculations.
Je rêve.

Reste que les journaux du curé Bernier sont perdus à jamais, victimes d’un antiquaire peu informé. Histoire de frotter du sel sur la plaie, sachez que le Sri Lanka a perdu 60% de sa biodiversité botanique durant les 150 dernières années. Les herbiers du curé Bernier contenaient probablement des spécimens d’espèces disparues, et peut-être même inconnues.

Ou peut-être pas. Mais ça me déprime tellement d’y songer.
    
Je partage avec Catherine Dufour une profonde tristesse face à de tels gâchis. On a louangé les œuvres de Jacopo Bellini mais aucune ne nous est restée ; Marguerite Bahuche, protégée de Marie de Médicis, a redécoré toute la galerie d’Apollon au Louvre, s’attirant des compliments des plus grands maîtres, mais il ne reste absolument rien de son œuvre. Les tableaux perdus sont nombreux, de Deux Anges de Botticelli à la Chasse aux Lions de Rubens en passant par La Bataille d'Anghiari de De Vinci… et seules sept des cent-vingt-trois pièces de Sophocle nous sont parvenues.
Et là, je ne parle même pas de la bibliothèque d’Alexandrie…

Toutefois, soyez certains que je porterai une attention très particulière lorsque je fouillerai la section « vieux livres » d’Écolivres.

Qui sait ?

Je continuerai également de fouiller sur ce curé Bernier...