mercredi 26 juin 2019

Curieuses expéditions (4) : expositions Curiosités du monde naturel, Musée de la Civilisation de Québec


L’exposition Curiosités du monde naturel du Muz d’la Civ est LA chose à voir pour tout cabinetiers qui souhaite intégrer des naturalia à son cabinet. Toute l’exposition est montée dans l’esprit de l’émerveillement : on y trouve les pièces les plus grandes, petites, rares, étranges, précieuses, dangereuses, etc…

Je ne veux pas divulgâcher l’exposition mais voici, en guise d’apéritif, des photos de quelques éléments mémorables.

 Les spécimens naturalisés sont à couper le souffle. Deux spécimens disparus, le dodo et le thylacine, sont rendus avec un réalisme surprenant…





…mais ma fille a préféré des espèces qui existent toujours. Ce mérou et cette tortue des îles Galapagos furent ces pièces préférées (et l’orang-outan fut sa grande déception, car il ne répondait pas à ses saluts de la main)…





…du matériel de scientifiques naturalistes…






…des planches d’art naturaliste…









…des fossiles stupéfiants…






 …des minéraux bruts et travaillés…




…des mystérieux bijoux ornés d’une trilobite ou d’une améthyste supposée maudite (vous en lirez l’histoire, écrite juste à côté, elle vaut la peine).




Naturalia, scientifica, artificialia, exotica : tout y est. Le rêve du cabinetier ! 

Honnêtement, je ne veux pas en dire davantage pour ne pas gâcher de surprises mais croyez-moi, je me suis efforcé de ne pas mettre de photos des pièces les plus impressionnantes. 

Et de toute façon, les photos ne rendent pas justice. Faut y être pour vraiment comprendre l'effet.

C’est une exposition à ne pas manquer : une première en Amérique du Nord, où la plupart des pièces sont des prêts du Muséum d’Histoire Naturelle de Londres. Tout juste regrettera-t-on la quasi-absence de curiosités végétales.

Ne ratez pas cette chance. Ayant ma passe annuelle, j’y suis allé trois fois (avec ma conjointe et ma fille, avec mon ami Érick et avec ma nièce Iseult) et je vous garantis que j’y retournerai encore une fois ou deux.

Le papillon bleu a pris son envol : l’entomologiste québécois Georges Brossard n’est plus.


Je n’oublierai jamais cette rencontre. J’étais à l’école primaire et, lors d’une sortie à Montréal au traditionnel triptyque Jardin Botanique / Biodôme / Insectarium, j’avais jugé qu’il serait amusant de prendre l’araignée de plastique achetée à la boutique-souvenir et de la lancer à ma prof en criant : « Regarde ce que j’ai attrapé ! ».

En guise de punition, j’étais privé de faire la troisième visite, celle de l’Insectarium. J’avais littéralement fondu en larmes (et qu’importait mon orgueil de préado devant les jeunes filles). Alors je restais sur un banc avec un parent-accompagnateur, un « gentil vieux monsieur » est venu me parler.

Il m’a demandé si j’aimais les insectes pour avoir réagi de la sorte. J’ai répondu que « j’aimais tout » : les roches, les mammifères, les plantes, les oiseaux, les dinosaures, les insectes, les araignées…

Avec un sourire espiègle, il m’a demandé pourquoi je disais « les insectes et les araignées ». Tout gonflé de mon vaste savoir de gamin, je lui ai expliqué, d’un ton professoral, que les araignées n’avaient pas d’antennes, qu’elles avaient huit pattes, le corps divisé en deux sections, etc…

Vous l’aurez deviné, j’étais en train de faire la leçon au légendaire entomologiste Georges Brossard...
Lui et moi avons parlé bestioles un bon quinze minutes, puis il m’a dit qu’il était attendu. Je crois qu’il devait donner une conférence, je ne m’en souviens pas bien.


Ce n’est que quelques mois plus tard que, lors d’un documentaire présenté à Radio-Québec, j’ai découvert que mon mystérieux interlocuteur était le fondateur de l’Insectarium de Québec.
Vingt-cinq ans plus tard, j’en rougis encore.

Ce matin, j’ai appris son décès et je déplore que peu de gens sachent à quel point son influence fut majeure pour l’initiation des Québécois jeunes et moins jeunes aux sciences naturelles.

Né en 1940 à La Prairie et passionné par les insectes depuis l’enfance, il commence ses voyages entomologiques à 38 ans. En 1989, sa collection d’insectes dénombre 250 000 spécimens, la plus vaste collection privée du monde. Cette même année, il propose au maire Jean Doré d’ouvrir un Insectarium à Montréal.


À la demande de la Fondation Rêves d’Enfants, Georges Brossard a amené avec lui le jeune David Marenger (un enfant atteint du cancer et en phase terminale) dans la forêt tropicale afin qu’il puisse dénicher un Morpho Bleu. Brossard risquera sa vie dans cette tâche difficile et parviendra à capturer un papillon avec l’enfant. De retour de voyage, une série de test révélera que le jeune David est guéri (je sais, ça ressemble à un conte de fées, mais fouillez la presse si vous ne me croyez pas). Cette histoire fut d’ailleurs le sujet d’un film, Le papillon bleu.


Mon propre spécimen de Morpho bleu.

Depuis, Georges Brossard a également fondé un Insectarium à Shangaï et en Afrique du Sud. Au dernier décompte, peu avant son décès, sa collection personnelle s’élevait à 500 000 spécimens.
Par sa passion, monsieur Brossard aura contribué à éveiller l’intérêt de milliers de gens aux sciences naturelles et, incidemment, à la beauté et la fragilité de la biodiversité.


Merci pour cette jasette de quinze minutes, mystérieux monsieur. J’ai peut-être raté cette visite, mais je suis retourné à votre Insectarium six fois.

Merci pour la recette de miellée, aussi : elle m’a beaucoup servie.

Et oui, j’ai fini par observer une saturnie…


mardi 18 juin 2019

Micro-ostéologie [ostéologie (1)]

Personnellement, je trouve que l’ostéologie est une science intéressante et j’aime bien contempler les spécimens préservés. Ma conjointe, quant à elle, A-DO-RE l’ostéologie : la collecte des spécimens, le vidage, l’écorchage, le retrait de la chair, les différents trempages, le curetage, le brossage, le polissage, le remontage… tout cela est pour elle un agréable loisir.


(si vous vous demandez si elle est normale, considérez qu’elle m’a choisi comme conjoint et tirez-en vos propres conclusions).

Ainsi, lorsque nous sommes tombés sur la dépouille d’un campagnol — de toute évidence victime d’un chat — Sonya s’est aussitôt enthousiasmé.

Puis nous avons songé à ce que serait la tâche de remontage… nous avons notamment pensé à la taille des vertèbres et au calvaire de les remettre dans l’ordre… alors nous avons décidé de nous en tenir au crâne.

Les outils d’un kit de manucure du Dollarama ont suffi pour amorcer le projet. Nous avons détaché la tête avec les ciseaux à cuticules et, après avoir ébouillanté notre spécimen, nous l’avons écorché à l’aide de pinces à sourcils.

Triste constatation : la boîte crânienne était défoncée — œuvre du chat, sans doute. Nous avons donc décidé de nous limiter à la mâchoire, qui n’est pas dépourvue d’intérêt.

La période de macération (laisser le spécimen dans l’eau pour que la chair décompose) n’a duré qu’une semaine. Par la suite, le curetage et le brossage s’est fait avec un cure-dent et une brosse à dents (et parmi les choses bizarres que j’ai fait dans ma vie, je peux ajouter que j’ai brossé les dents d’un rongeur).

Vient ensuite le bain dans l’eau saturée de bicarbonate de soude et le séchage au grand soleil.


Le résultat, propre et blanc, fut désinfecté à l’isopropanol (j’avais peur qu’une solution dakin ne dissolve les minuscules os, presque translucides tant ils sont minces).


Une éprouvette de 15 ml retournée à l’envers m’a servi de cloche de verre. Le tout est monté sur une épingle de couture.


Et voilà un naturalia minuscule qui vaut la peine qu’on s’y attarde (ici à côté d’un bourdon).

Temps investi (excluant les périodes de trempage) : 3 heures.   

lundi 17 juin 2019

Microcosme sous cloche


La classe bourgeoise de l’époque victorienne connait un véritable engouement pour l’histoire naturelle. Les « cages de verre » sont l’une des manifestations de cet intérêt. La plupart des familles aisées avaient, en guise d’objet décoratif, une cloche de verre sous laquelle se trouvaient des spécimens naturalisés.


Certains frôlaient le grotesque comme les crapauds empaillés placés debout et vêtus de petits complets, à la manière du personnage de Kenneth Grahame, ou dans diverses situations anthropomorphiques.



D’autres étaient totalement fantasques, comme des oiseaux composites constitués de spécimens d’espèces différentes « fusionnés » en un seul grâce aux compétences du taxidermiste.



Le tout était généralement accompagnés de décorations tarabiscotées et souvent monté sur un mécanisme de boite à musique.

Chez les scientifiques, on privilégiait deux types de cage de verre : les représentations de familles et les microcosmes. Les représentations de famille étaient de très grosses cloches contenant un membre de chaque espèce d’une même famille (par exemple, tous les types de colibris).


Les microcosmes, comme leur nom l’indique, sont de petits instantanés naturels où le taxidermiste tente résumer en un seul coup d’œil l’habitat d’un spécimen ; un ou deux échantillons minéraux et quelques végétaux séchés, le tout scrupuleusement sélectionné le plus près possible de lieu de capture de l’animal.

Dans un cas comme dans l’autre, l’idée est de reproduire en trois dimensions la traditionnelle planche d’art naturaliste.




Je m’y suis essayé aujourd’hui avec un insecte, en m’inspirant de ce microcosme de scarabée trouvé sur le web.



J’ai choisi la libellule capturée hier…



…et, pour représenter son habitat (une rive rocailleuse)…


…j’ai choisi ce schiste, ce bois flotté de bouleau (l’espèce d’arbre dominante des lieux) et ce minuscule coquillage (environ 3 millimètres).



J’ai collé la pierre avec de la colle Testors pour modèles réduits ainsi que le morceau de bois sur son socle. Pour coller la libellule, j’ai utilisé le Mod Podge, craignant qu’une colle plus forte ne l’abime. J’ai surtout travaillé avec des pinces à sourcils (pour poser les objets) et un cure-dent (pour poser les gouttes de colle).



Pour la cloche, il s’agit de l’ensemble sous-verre DavidsTea / chandelle du Dollarama présenté dans le billet spécimens sous cloche.


Voilà donc une pièce pour votre cabinet de curiosités qui attire l'oeil tout en exhibant votre dextérité et votre sens de l'esthétique.

Coût du projet : 3$
Temps investi : agréable promenade de 2 heures pour choisir les spécimens
                         2 heures pour les délicates séances de montage
                         30 minutes de séchage pour la colle entre chaque étape
       

Curieuse expédition (3) : spécial Fête des Pères





Pour une personne qui ne connait pas l’histoire naturelle, une promenade en campagne ou au bord de la mer ressemble à la visite d’une galerie remplie de tableaux dont les neuf dixièmes seraient retournés, face contre le mur.
— Thomas Henry Huxley, 1854


Hier, ma petite famille m’a offert en guise de cadeau une promenade sur le bord du fleuve, dans le coin de Lotbinière, afin de dénicher quelques curiosités pour le cabinet. Une magnifique journée en famille, où ma conjointe et moi avons pu attirer l’attention de notre fille sur de multiples merveilles de la nature.



Voici ce que nous avons déniché en fouinant deux petites heures sur cette plage rocailleuse.


Dans le règne animal :


Des coquillages minuscules mais très jolis…


…une pince de crabe…


…un énorme bivalve…


…un autre crâne de raton-laveur (qui aura besoin d’être brossé et blanchi) …


…une grande libellule (une Lydienne ou, pour être plus précis, plathemis lydia mâle immature)…


…un os de goéland poli par les eaux (son intérieur poreux indique qu’il s’agit d’un os d’oiseau, ses proportions nous révèlent l’espèce)…


…une moule…


…et une énorme plume de corbeau (14 pouces, ou 35,5 cm).



Dans le règne minéral :


Schistes d’ardoise gris…


… et calcaire.

Dans le règne végétal :


Cette étrange plante rouge que je ne suis pas encore parvenu à identifier. Si jamais je n’y parviens pas, elle ira temporairement rejoindre mes canulars et y sera présentée comme l’herbe rouge martienne de La Guerre des Mondes de H.G. Wells.


Dans le registre des « vraies » curiosités :


Un gros morceau de nacre (cette matière dont sont composées les perles — oui, techniquement ça appartient au règne animal, je sais)…


…et un morceau de bois fossilisé.


Merci à Sonya et Florence pour cette promenade mémorable !

vendredi 14 juin 2019

Appareils de mesure


Longueur, poids, calcul : les appareils de mesure sont indispensables à tout chercheur. Techniquement, mes appareils de navigation et les pièces qui composent le mur aux cadrans sont aussi des appareils de mesure, mais j’ai voulu traiter ici des appareils de calcul plus conventionnels.

Dynamomètre mécanique



Les amateurs de pêche l’auront reconnu et le nomment généralement « peson » — ce qui est un terme correct, soit dit en passant. Si l’appareil peut servir à peser un poisson, son principal usage est de mesurer une force ou un couple en kilogramme-poids.

Déniché à 10$ chez un antiquaire liquidant un surplus d’entrepôt.


Pied-de-roi
Ancêtre de la règle à calculer, les premiers pieds-de-roi comportaient des divisions en pouces, eux-mêmes divisés en douzièmes. On avait ainsi à sa disposition les divisions les plus fréquentes du système de longueur. On les utilisait aussi en guise de compas à proportion. Ils n’étaient alors composés que de deux parties.

Au XVIIe siècle, on inventa la règle à calculer. Le pied-de-roi perdit alors son rôle d’outil de calcul pour devenir un simple outil de mesurer — on pourrait parler de « pied-de-roi 2.0 ».


Celui-ci, à sections multiples (plus récent que ceux à deux parties), date de 1922. La règle à calcul étant inventée depuis longtemps, le pied-de-roi devient un cousin du ruban à mesurer. On divise alors ses sections en seizièmes. Je l’ai trouvé dans la même grange abandonnée où j’ai déniché les cruchons de verre (voir Matériel de Navigation).

Étrange appareil…
J’attends encore de découvrir à quoi sert cet appareil. Trouvé à la Ressourcerie pour 1$, je l’ai acheté sans même savoir ce que c’était. On m’a d’abord dit qu’il s’agissait d’un appareil de couture, mais après avoir vérifié le web, les deux objets présentent plusieurs différences (et même si c’est vraiment un objet de couture, il est assez bizarre pour mon cabinet !). Le premier à me l’identifier gagne un prix ! Il est daté de 1912.


Balance antique
Afin de peser divers objets, on utilisait comme référence de petits poids de laiton qu’on déposait dans l’un des plateaux. Chaque poids était plus lourd que le précédant et on parvenait, par combinaisons, à obtenir des résultats très précis. J’ai trouvé cette balance chez mon antiquaire favori et elle date de 1847. Je l'ai eu pour une bouchée de pain en échange d'une éprouvette à bromure que j'avais en double.



Elle est pourvue de cinq poids de référence (1gr, deux fois 2gr, 5gr et 10 gr). Ce modèle était favorisé par les apothicaires.  



Poids de balance
Un autre ensemble de poids, liquidé à 20$ chez un antiquaire (le même qui m’a vendu le dynamomètre). Ici, ce sont des poids plus importants, montant jusqu’à 100gr.



Boulier
Les bouliers permettent d'effectuer le calcul des opérations : additions, soustractions, multiplications et divisions, mais aussi d'écrire des nombres. Dans des mains expertes, il est cependant possible de réaliser d’autres opérations comme le calcul de racines énièmes ou la conversion entre différentes bases



Chaque colonne représente (en partant de la droite), les unités, les dizaines, les centaines, etc. Les cinq boules en dessous de la barre valent chacune 1, et les deux boules situées au-dessus de la barre valent chacune 5. On ne prend en compte dans le calcul du nombre représenté que les boules activées, c'est-à-dire déplacées près de la barre centrale horizontale.

(En 1945, un match opposant un comptable japonais muni d’un boulier et un opérateur de calculatrice électrique a été gagné par le Japonais par un score de 4 à 1).

J’ai trouvé ce boulier dans une boutique du quartier chinois de Montréal, à 15$.

De nombreux autres outils de calcul que je rêve de posséder (notamment une pascaline et une curta) sont décrits dans l’article de Mario Tessier Quand la règle à calcul était reine ou les calculateurs analogiques d’autrefois, Solaris 203.