jeudi 24 novembre 2022

Raie naturalisée

Les raies me fascinent et me mettent un peu inconfortable. Je précise tout de suite : je n'ai pas peur des raies, j'adore les voir nager à l'Aquarium de Québec, j'en ai aussi caressé au bassin de contact et j'en ai même déjà mangé (mais pas celles de l'Aquarium). Elles produisent toutefois chez moi un sentiment qu'on pourrait rattacher à l’uncanny valley (ou "vallée de l'étrange") : ce sentiment d'inconfort lorsqu'on est en présence de quelque chose qui ressemble à l'humain.

 

Voici mon spécimen.



De dos...


...de face.


Alors bon, je ne sais pas pour vous mais moi, ça m’a toujours évoqué une sorte de diablotin maléfique. Cela dit, ce que vous voyez, ce n’est pas un visage composé d’yeux et d’une bouche mais bien des fentes respiratoires et une bouche. Sur cette image, on peut bien voir la position de l’œil.



 

L’effet de visage est donc une paréidolie. Pourtant, il semble que je ne sois pas le seul à trouver que les raies ont un air quasi surnaturel.

On raconte que saint Pierre les aurait reconnus comme les poissons les plus sacrés de la mer, capables de comprendre le langage des hommes.

Dès le Moyen-Âge, on compare les raies aux humains. J’ai déjà parlé, il y a longtemps, de l’Évêque de Mer, supposé maitre spirituel de la faune sous-marine. Il est décrit comme un monstre merveilleux, un poisson en tous points comme un homme, comprenant le langage des hommes sans le parler, portant les attributs d'un évêque et notamment la mitre et une chasuble susceptible d'être soulevé jusqu'au-dessus des genoux. Il fut présenté au roi de Pologne en 1431 avant d'être à sa demande muette rendu aux flots pour ne jamais reparaître.



Sur cette carte de la Renaissance représentant l’Islande, on peut voir une créature marine mythique, le Skötumóðir, ou "Mère des Raies". 




On les disait titanesques et toxiques à manger, avec des dos comme des îles couvertes de boue et arborant neuf queues. Il y a toujours un essaim de raies nageant autour d'un skötumóðir. Au fur et à mesure qu'elles sont capturés par les pêcheurs, la mer semble devenir moins profonde à mesure que le skötumóðir remonte à la surface. Enfin, la mère vengeresse des raies accroche ses ailes au navire et l’entraîne sous les vagues.


À Anvers, un siècle plus tard, on commencera à découper les raies pour en faire des taxidermies monstrueuses, les Jenny Haniver (déformation anglaise de « Génie d’Anvers »).  C'est l'un de mes monstres de cabinet favori et oui, je vous en ai déjà parlé, je radote...




Ulisse Aldrovandi fait mention de cette créature dans l’un de ses livres d’Histoire Naturelle.




Plus récemment, James Cameron s’en est inspiré pour créer les êtres intelligents sous-marins du film The Abyss.




Donc, imaginer que les raies sont des êtres diaboliques ou féériques, ce n'est pas qu'un délire de mon esprit fêlé. D'autres l'ont imaginé avant moi bien que ces poissons n'aient pas, en réalité, d'intelligence mesurable. Cela dit, quand je rêvasse, elles m’évoquent un autre peuple, mythique et sous-marin… je ne me lasse pas de les imaginer regagner des cités abyssales constituées de cavernes luminescentes et, par d’étranges ballets, invoquer des puissances antédiluviennes comme celles évoquées par H. P. Lovecraft. Les raies appartiennent d’ailleurs à l'ancienne lignée des poissons cartilagineux et remontent au moins à l'Ordovicien. Elles sont proches parentes des requins et surtout des poissons-scies.

 



Bref, après tout ça, je suppose que vous comprenez pourquoi je tenais à avoir une raie dans mon cabinet…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire