samedi 30 novembre 2019

Présentoir entomologique (entomologie - 6)


J’achève de monter les spécimens que j’ai capturé durant l’été… voici où j’en suis.





Montage en mouvement figé.

J’avais vu un montage comme celui-ci dans un musée et j’en voulais absolument un.
Là vous me demanderez où est passée mon éthique du spécimen unique…





Du calme… ces scarabées, dits « scarabées japonais », sont une espèce étrangère envahissante. Ils ont probablement été introduit dans des produits agricoles en provenance du Japon. Au Canada, c’est en 1939 que le premier scarabée japonais a été observé.

Typiquement, lorsqu’un scarabée japonais a terminé de s’alimenter sur une feuille, il ne reste plus qu’un squelette de nervures. Cet insecte peut donc réduire grandement la proportion de plantes cultivables et ainsi ruiner les récoltes en plus de causer des pertes économiques importantes.

Au Japon, l’insecte n’est pas considéré comme une espèce nuisible parce qu’une foule de prédateurs, de parasites, de virus, de bactéries et de pathogénies réduisent les populations.

Donc je n’ai eu aucun remord à cueillir (littéralement : ils sont des dizaines et restent très passifs) plusieurs scarabées japonais dans le potager de mon amie.



Reste que je les trouve magnifiques… ils sont donc parfait pour ce montage dit « en mouvement figé ».

Avant l’invention du cinéma (ou plutôt de ses ancêtres — zootrope, praxinoscope et zoopraxiscope), les modèles en mouvement figé étaient la meilleure façon d’étudier le mouvement chez les insectes.




Praxinoscope et effet visuel de cet appareil — j’ai déniché un tutoriel pour en fabriquer un, que je compte faire l’été prochain pour montrer le vol d’un colibri.

Sur mon modèle en mouvement figé, on peut voir le scarabée en posture de repos (en bas), puis se dresser sur ses pattes (partie inférieure), ouvrir ses ailes (partie supérieure) et en posture de vol (en haut).



Ce fut mon montage le plus long à faire et j’y ai perdu la moitié des spécimens capturés dans ma quête des poses parfaites. Le socle est un pied d’affichette du Dollarama, coupé à sa base et percé d’un trou où j’ai enfoncé une baguette chinoise. Le dôme est simple un verre pour boire.



Castes myrmécéennes

Les fourmis constituent la famille des formicidés et, avec les guêpes et les abeilles, sont classées dans l’ordre des hyménoptères. Ces insectes sont dits « eusociaux » : forment des colonies, extrêmement complexes, contenant de quelques dizaines à plusieurs millions d’individus. Certaines espèces forment des supercolonies à plusieurs centaines de millions d’individus.



Les fourmis fossiles les plus anciennes sont datées de l'Albien, un étage géologique vieux d'environ 100 millions d’années mais on estime que les premières espèces pourraient être apparues au Crétacé inférieur, entre 120 et 143 millions d'années. Les fourmis semblent avoir divergé d’insectes apparentés à des guêpes solitaires (certaines espèces de fourmi ont d'ailleurs conservé un dard et seules les ouvrières ont perdu leurs ailes)


Ici, on peut voir trois castes de la fourmi charpentière : ouvrière, soldate et reine, ainsi qu’un œuf.
J'espère que l'une d'elle est celle qui a refusé l'aide à la cigale. Mais comme les Fables datent de plusieurs siècles, j'en doute...

Environ 1% des espèces de fourmis recensées dans le monde sont des fourmis sans reine. Elles vivent au sein de colonies très réduites dans lesquelles certaines ouvrières se reproduisent. Le privilège de la reproduction est le fruit d’une organisation hiérarchique, où l’individu dominant de la colonie occupe cette place centrale. Son privilège reproductif pourra être remis en cause par des rivales.




Et qu’est-ce que j’ai d’autre… ?



Quelques insectes que j’ai monté comme les pièces d’un cabinet français...


Mon modèle, cabinet Prévert à Nancy

Ce longicorne ramassé dans un sureau...



…deux mouches aux éclats métalliques, une bleue et une verte (sous le bon éclairage, l’effet est impressionnant)…



…une guêpe bleue, elle aussi avec des reflets métalliques (j’adore les insectes métalliques, je les trouve magnifiques. Je chercherai des cicindèles l’été prochain)…


…coléoptère charognard trouvé mort au pied d’un réverbère…



…ah ! ici on peut voir d’autres coléoptères en vrac, parmi lesquels un hanneton aux ailes déployées, de multiples variétés de coccinelles et d’autres insectes qu’il me reste à identifier (ma sabbatique est finie, alors le temps me manque)…


…un nid de guêpe abandonné. Je ne suis pas équipé pour le photographier adéquatement, mais on peut y voir les alvéoles en regardant sons le bon angle…


…deux stratégies chromatiques des papillons de nuit : le camouflage (à gauche, sur écorce de bouleau) et la blancheur immaculée (les papillons volent alors en masses, ce qui rend leur capture difficile pour le prédateur — exactement le même effet que les troupeaux de zèbres)…


…il arrive, malheureusement, qu’un papillon déchire ses ailes dans mon filet. Dans ces cas-là (c’est arrivé deux fois), je place les morceaux intacts dans une fiole afin que le papillon ne soit pas mort pour rien.


(Parenthèses : il me faudra me fabriquer un autre filet l’an prochain : les mailles de mon filet sont trop larges, dixit les forums, d’où les accidents. On me recommande du tissu translucide blanc comme pour les rideaux d’intimité).



Bon, bon, bon… et comment j’ai patenté mes montages ?

Avec un peu n’importe quoi. Chaque montage m’a coûté un ou deux dollars. Les coupoles de ma (désormais traditionnelle) chandelle du Dollarama, des verres à 55 cents à la Ressourcerie, le couvercle de verre des coléoptères provient d’un vieux beurrier, des fioles et des éprouvettes à 3/1$ chez Maxi-Dollars... les bases de bois proviennent d’un ensemble de sous-verres (Ressourcerie, 85 cents) et de retailles de mes rénos.

lundi 25 novembre 2019

Sur la piste d’un confrère naturaliste oublié…


La vie est pleine de surprises. Certains appellent cela le destin, d’autres la synchronicité.

Moi, j’appelle ça « les cailloux d’Iptit » (les fans de la Grande Dame comprendront l’allusion).

Il n’y a pas si longtemps, de passage chez Écolivres, je suis tombé sur ce magnifique livre de comptes, ou ledger




Le bouquin était encore vierge (du moins le pensai-je) et je me suis dit « Quel fantastique livre de notes pour mon bureau/cabinet » ! À 10$ pour 500 pages format 11 x 14, ça revenait moins cher que des cahiers Canada et… que dire du côté poétique de l’objet !?




En plus, il fite avec mon étui de cellulaire…

Et comme dans bien des romans d’enquête, cet achat anodin d’une antiquité allait me lancer sur les traces de mystères brumeux…

La première chose qui a attiré mon attention, alors que je tournais une page du livre à la lumière de ma lampe de bureau, fut la présence d’un filigrane à travers le papier.





Photo du filigrane à travers une fenêtre (pas facile à voir, je sais).




Filigrane avec effet Négatif NB en Photoshop.

En voulant vérifier si ce filigrane était sur chaque page, je me suis d’abord rendu compte qu’il n’y en avait pas un, mais deux…




…et aussi à des endroits aléatoires se trouvaient des notes liturgiques.



Ici, une liste de messes anniversaires à souligner



Là, une liste de mariages à célébrer


Quelques notes éparses jetées au hasard des pages


Je me suis donc mis à tourner chaque page, curieux de voir ce que j’y trouverais…

Sur une page , cette étrange liste :


Après m’être arraché les yeux, j’ai fini par comprendre que la liste recensait diverses espèces animales, soit d’abord des suinés :

Babiroussa
Phacochère
Potamochère
Hylochère
Sanglier
Porc
Pécari

Puis un mot qui m’était inconnu :

Sukotyro

Et finalement un animal qui n’avait aucun rapport avec les suinés, c’est-à-dire l’hippopotame. Ça, c’était franchement bizarre et je me demandais bien ce que ça fichait dans un journal liturgique… 

D’abord, j’étais trop intrigué par le mot inconnu de la liste d’animaux, alors j’ai fouillé Google. J’ai découvert que le sukotyro est un animal dont on a débattu l’existence jusqu’au milieu du XXe siècle. Il s’agirait d’un suidé vivant à Java, de bonne taille et ayant des défenses longues et droites.



Un ouvrage du XIXe siècle débattant sur l’existence du sukotyro.

Donc, un autre animal porcin. Peu après, j’ai appris que jusqu'en 1985, les naturalistes regroupaient les hippopotames avec la famille des Suidae (porcs et sangliers) ou à celle des Tayassuidae (pécaris).

Bref, une liste des animaux apparentés au cochon.
Cool. 
Mais ça mène où ? Et qu’est-ce que ça fout là ?
Le Sherlock en herbes que je suis reprend son enquête.

L’entête d’une liste des décès indique PSJ Lauzon.


Ergo : Paroisse Saint-Joseph de Lauzon (Élémentaire mon cher Watson, bien que Sherlock n’aie jamais utilisé cette phrase dans les récits de Doyle).

C’est alors que j’ai eu une illumination…

 Vous vous souviendrez (probablement pas) que dans mon billet Entomologie (4) : papillons diurnes, je montrais ce cadre de papillons et j’expliquais que « un antiquaire a reçu divers objets ayant appartenu à un curé s’étant adonné aux sciences naturelles. Il m’a cédé le cadre pour 15$, mais m’a dit avoir jeté (horreur !) des herbiers, de journaux privés et de vieux manuels scientifiques ».


J’habite à Lévis et l’antiquaire dont je vous parle est précisément situé dans le secteur Lauzon…

L’un des journaux, considéré vierge, aurait-il abouti chez Écolivres ?

Derechef, je téléphone à l’antiquaire. Il se souvient bien de ce lot ayant appartenu audit curé, et confirme mes soupçons : il a cédé un journal « vierge » à la bouquinerie, laquelle a une section « livres anciens » d’où je tire plusieurs de mes anciens ouvrages scientifiques (voir mon billet Les livres anciens).  

Ah-HA ! BINGO !

Alors maintenant, il me fallait identifier qui était ce défunt confrère naturaliste…

Les noms figurant sur la liste des décès et des mariages permettent de fixer une année (1939). Une fouille rapide dans la BANQ permet de découvrir que le curé de la paroisse fut, à cette époque, Hipolite Bernier, aumônier du camp militaire de Lauzon (de 1909 à 1940). Il fut difficile d’en découvrir davantage sur ce personnage, mais après deux heures de recherches en variant les mots-clés, j’ai fini par découvrir un extrait de la correspondance du frère Marie Victorin (le pionnier de la botanique québécoise) où le digne botaniste fait mention des herbiers de « Hippolyte B, ptr, paroisse St-J.L », qu’il aurait ramené « de Ceylan après la Grande Guerre ».

Il y a fort à parier que Marie Victorin s’est trompé en orthographiant le prénom de son coreligionnaire. L’idée qu’un aumônier se soit déplacé dans un dominion britannique durant la Grande Guerre (la première, bien sûr) est parfaitement possible (Ceylan étant l’ancien nom du Sri Lanka).

Maintenant que je disposais d’une théorie crédible sur l’ancien propriétaire de ce journal, il me fallait dater ledit objet.

Le site Archives Fine Books (https://www.archivesfinebooks.com) décrit quelques ouvrages portant un filigrane similaire à mon document :  The leaves are lightly ruled with a wide 8cm margin and the watermark reads “Monksburn” above the image of a book with the words “Air Dried” below.

Ta-daaaaaaa !

La plupart des ouvrages portant ce filigrane sont daté de fin 1800 – début 1900. Voilà qui laisse supposer que notre aumônier aurait pu les acheter avant son voyage à Ceylan…

…peut-être même est-ce durant ce voyage qu’il aurait entendu parler du sukotyro, l’île de Java n’étant pas éloigné (d’un point de vue occidental et toutes proportions gardées) du Sri Lanka. Mais on ne saura jamais pourquoi le curé Bernier a dressé cette liste de parents du cochon...
 
...me laissant aller à rêver, je compare son sukotyro au légendaire baku du Japon...



Ok, Java est loin du Japon, mais pas plus que le tapir de Malaisie, qu'on considère généralement à la source de cette légende...




Lequel ressemble le plus au baku ? 


Et bon… tout cela n’est que pures spéculations.
Je rêve.

Reste que les journaux du curé Bernier sont perdus à jamais, victimes d’un antiquaire peu informé. Histoire de frotter du sel sur la plaie, sachez que le Sri Lanka a perdu 60% de sa biodiversité botanique durant les 150 dernières années. Les herbiers du curé Bernier contenaient probablement des spécimens d’espèces disparues, et peut-être même inconnues.

Ou peut-être pas. Mais ça me déprime tellement d’y songer.
    
Je partage avec Catherine Dufour une profonde tristesse face à de tels gâchis. On a louangé les œuvres de Jacopo Bellini mais aucune ne nous est restée ; Marguerite Bahuche, protégée de Marie de Médicis, a redécoré toute la galerie d’Apollon au Louvre, s’attirant des compliments des plus grands maîtres, mais il ne reste absolument rien de son œuvre. Les tableaux perdus sont nombreux, de Deux Anges de Botticelli à la Chasse aux Lions de Rubens en passant par La Bataille d'Anghiari de De Vinci… et seules sept des cent-vingt-trois pièces de Sophocle nous sont parvenues.
Et là, je ne parle même pas de la bibliothèque d’Alexandrie…

Toutefois, soyez certains que je porterai une attention très particulière lorsque je fouillerai la section « vieux livres » d’Écolivres.

Qui sait ?

Je continuerai également de fouiller sur ce curé Bernier...

lundi 11 novembre 2019

Pied de cerf monté sur socle (ostéologie -3)




On trouvait certes des squelettes entiers dans les cabinets de jadis, mais encore davantage de montages ostéologiques partiels. Les crânes, bien sûr, étaient les os les plus souvent mis à l’honneur, mais on trouve aussi de nombreux montages de membres supérieurs et inférieurs.



Patte de renard, cabinet britannique, circa 1840




Pied de cerf, cabinet hongrois, circa 1670

Celui ci-haut m’a semblé spécialement intéressant et j’ai décidé d’imiter la technique. Je connais d’ailleurs plusieurs chasseurs. Comme le pied des cervidés est très peu charnu, il est généralement mis aux rebuts par le boucher.

(Parenthèses : on peut quand même en faire une sauce extraordinaire. Après avoir écorché votre pied de cervidé, mettez un peu d’huile d’olive dans une casserole, faites-le griller avec de la ciboulette fraîche, des baies de genévrier, une branche de romarin et du poivre vert. Arrosez de deux tasses d’eau bouillante et d’une tasse de vin rouge, laissez réduire le bouillon de moitié, filtrez. Épaissir avec du beurre et de la farine puis ajouter des champignons émincés. Excellent avec le bœuf, le porc et, bien entendu, le gibier. C’était la chronique cuisine).

Bref. Après avoir ébouillanté le pied de cerf et retiré l’essentiel de la chair, j’ai laissé macérer dans l’eau pendant un mois (à l’extérieur).

Reste à nettoyer et monter à la crazy glue.


Pour le socle, j’ai déniché cette plaquette de bois à la Ressourcerie pour 55 cents (une image pieuse y était fixée et je l’ai retirée). Je l’ai ensuite teinte.

J’ai inséré un clou de laiton dans un trou naturellement présent dans l’os (ledit trou a un nom qui m’échappe présentement et je suis trop paresseux pour le chercher). La tige verticale en laiton récupérée d’un vieux mécanisme de chasse d’eau pour les toilettes — l’extrémité ronde, prévue pour la chaînette, est parfaite pour coincer le clou ; l’autre bout est fileté, donc il s’insère parfaitement dans le bois pour peu qu’on y perce un trou avec une mèche deux points plus petite.



Temps investi : 3 heures (si on ne compte pas la macération)
Montant investi : 55 cents


P-S : J’ai quelques autres montages du genre en cours… les os sont prêts, restent à trouver du temps pour assembler.