Toutefois, mon dvojnice est destiné à un usage beaucoup plus sinistre que la flûte de l'Oiseau Blanc. On m'a dit qu'il avait au moins 150 ans, (bien qu'il fut impossible de le dater avec précision) et j'ai pu apprendre qu'il est du type dit "mračno".
Je n'ai malheureusement qu'une seule source à propos des dvojnice mračno et c'est un historien originaire de l’Est de la Serbie, monsieur Jovanović. C'est un grand érudit et parfait gentleman que j’ai eu le privilège de rencontrer alors que j’effectuais des recherches pour un projet de roman ruritanien (il ne m'a dit son prénom qu'une fois et, comme mon oreille n'était pas exercée aux phonèmes balkaniques, je ne l'ai pas retenu... et j'étais trop gêné pour le redemander).
Je n'aime pas beaucoup parler d'un sujet quand je n'ai qu'une seule source, mais monsieur Jovanović est une source que je juge fiable. J'ai quand même tenté de valider certains détails. Ainsi, si on entre uniquement "dvojnice" dans Google, on obtient des flûtes balkaniques simples et doubles, avec ou sans sac d'air.
Le mot "mračno" (que j'avais prié monsieur Jovanović de m'épeler) est traduit par Google par "sombre", "sinistre" ou "obscur". Ça ne m'étonne pas... car d'après monsieur Jovanović, le dvojnice mračno permettrait à celui qui en joue de charmer les légendaires drekavac.
(je n'ai pu trouvé qu'une seule référence web faisant un lien entre le dvojnice et les drekavac, un vieux scan de GoogleBook datant de 1873).
Ici, une petite parenthèse à propos de cet être imaginaire.
Comme toutes les créatures mythiques, il y a énormément de variations selon la
région, l’époque, les modes et le conteur. La description que je donne ici est
celle de monsieur Jovanović,
*
La légende des drekavac serait la plus ancienne des légendes
serbes. On racontait jadis que les enfants mort-nés qui étaient ensevelis sans
être nommés devenaient des drekavac. Autour du VIe siècle, la définition s’est
christianisée : on parle désormais d'enfants morts sans baptême.
Enragés d’avoir été jetés dans l’oubli par leurs parents, le
corps des jeunes enfants se transforme sous terre en une sorte de créature
mi-canine, mi-humaine. Douze jours avant le solstice d’hiver (ou durant les douze jours de
Noël après le VIe siècle), le drekavac émerge de sa tombe.
On croyait généralement qu'il n'était visible que la nuit, en particulier pendant les douze jours de Noël (appelés « jours sans baptême » en serbo-croate) lorsque d'autres démons et créatures mythiques étaient censés être plus actifs. À ce moment, le drekavac hante la demeure de ses parents pour se venger : il égorge le bétail, souille le grain, fait entrer le vent glacial dans la demeure, fait mourir le feu dans l’âtre. On peut savoir qu’il est présent quand la Lune est au plus haut : à ce moment, il est possible de l’entendre sangloter ou murmurer des berceuses. Terriblement jaloux et vindicatif, il pénètre les rêves des autres enfants du couple et les dupe pour qu’ils sortent dans la neige et y meurent de froid.
On ne peut se débarrasser d’un drekavac à moins que celui-ci
ne soit parvenu à éliminer tout ses frères et sœurs et que les parents finissent
par mourir sans descendance. Sinon, il semblerait qu’un drekavac puisse poursuivre
une même famille pendant des générations.
*
Ainsi, il parait qu'un couple se tenant dans un cimetière la nuit du solstice d'hiver et jouant des berceuses sur un dvojnice mračno peut ainsi charmer les drekavac qui habitent le cimetière: ils reconnaîtront le couple comme leur père et leur mère et obéiront au doigt et à l'oeil durant les douze jours de Noël. Passé cette période, ils retourneront dormir dans leur tombe, mais retrouveront chaque année leurs "parents" si ceux-ci reviennent jouer du dvojnice mračno. Certains contes des Balkans relatent les crimes que des "parents de drekavac" font accomplir à leurs "enfants" pendant ces douze jours : il s'agit généralement d'histoires particulièrement sombres.
Monsieur Jovanović, qui m'a appris le peu que je connais des drekavac, m'a résumé sommairement l'un de ces contes et honnêtement, c'est carrément épouvantable.
Ce qui, vous l'aurez compris, donne énormément de cachet à mon dvojnice mračno...
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