L’un des livres marquants de ma jeunesse fut 20 000 lieues
sous les mers de Jules Verne. Dès l’enfance, grâce aux documentaires de la National
Geographic, d’Omniscience et du Commandant Cousteau, je rêvais de
devenir un grand explorateur naturaliste. Les derniers Géants de F.
Place y est sûrement pour quelque chose également, de même que les dessins animés
Il était une fois l’Homme, Les Mystérieuses Cités d’Or et Ordi.
C’est en sixième année que l’enseignante en charge partielle
des sciences, madame Nancy Cadotte, m’a fait découvrir Jules Verne. Mon préféré
restera toujours 20 000 lieues sous les mers. Ah ! Comme j’ai rêvé
de faire partie de l’équipage du Nautilus, d’être l’assistant, l’apprenti,
le successeur du capitaine Nemo !
Je crois que ce fut la seule fois de ma vie que, sitôt un
bouquin terminé, je l’ai aussitôt recommencé sans perdre une minute. Je dois
même admettre que Verne a réussi à me faire croire à l’existence de l’Atlantide
jusqu’à l’adolescence.
Ce n’est pas sans raison que les plans du Nautilus
sont exposés dans mon bureau !
J’ai relu le chef-d’œuvre hier. Maintenant
que je suis adulte et auteur, j’en vois les multiples défauts. L’abus « d’info-dump »
est épouvantable. Les dialogues sont utilisés uniquement pour situer le lecteur
(autrement dit, trop souvent les interlocuteurs savent déjà ce qu'ils se disent).
La façon dont les « nègres », les « sauvages » et les « naturels »
sont décrit trahie une vision colonialiste et raciste qui, bien que d’époque
(disons-le, et même que Verne était assez ouvert d’esprit pour son temps), est
assez épouvantable aujourd’hui ; le traitement réservé aux animaux qu’on tue
par plaisir n’est pas mieux… et le personnage de Conseil est d’un ridicule
inimitable et sans une once de crédibilité !
QUELLE HISTOIRE !!! QUELLE
AVENTURE !!! QUEL ÉMERVEILLEMENT !!!
Oui, en dépit de ses relents de documentaire déguisé et des valeurs
caduques, j’aurais tellement voulu, encore une fois, m’embarquer sur le Nautilus…
UN CHEF D’ŒUVRE, JE PERSISTE ET JE SIGNE !!!
Coquillages
Je me souviens, enfant, avoir débuté ma collection de
coquillages juste après cette lecture car, érudit entre les érudits, grand
naturaliste des océans, le capitaine Nemo tient un cabinet de curiosités qui
est longuement décrit au chapitre 11 :
Un conchyliologue un peu
nerveux se serait pâmé certainement devant d'autres vitrines plus nombreuses où
étaient classés les échantillons de l'embranchement des mollusques. Je vis là
une collection d'une valeur inestimable, et que le temps me manquerait à décrire
tout entière. Parmi ces produits, je citerai, pour mémoire seulement […] l'élégant
marteau royal de l'Océan indien dont les régulières taches blanches
ressortaient vivement sur un fond rouge et brun, un spondyle impérial, aux
vives couleurs, tout hérissé d'épines, rare spécimen dans les muséums
européens, et dont j'estimai la valeur à vingt mille francs, un marteau commun
des mers de la Nouvelle-Hollande, qu'on se procure difficilement […] coquillages
délicats et fragiles, que la science a baptisés de ses noms les plus charmants.
J’ai déjà montré deux de mes présentoirs à coquillage.
J’en ai un troisième, tenant davantage de la boîte de voyageur :
une mallette en bambou, trouvée pour 1$ à la Ressourcerie, divisée en cases. J’ignore
à quoi elle servait, mais une fois remplie de spécimen, elle semble avoir
appartenu à quelque naturaliste ayant exploré l’Asie.
Corail
Si nous continuons à suivre la route du Nautilus,
notre prochaine escale est au chapitre 24, où le noble capitaine descend dans
un récif coralien pour y ensevelir la dépouille d’un de ses hommes.
La lumière produisait mille effets charmants en se jouant
au milieu de ces ramures si vivement colorées. Il me semblait voir ces tubes membraneux
et cylindriques trembler sous l’ondulation des eaux. […] Mais bientôt les
buissons se resserrèrent, les arborisations grandirent. De véritables taillis
pétrifiés et de longues travées d’une architecture fantaisiste s’ouvrirent
devant nos pas.
J’ai toujours adoré ramasser des coraux fossilisés en voyage.
Les coraux sont des animaux de
l'embranchement des Cnidaires (lequel comporte aussi les méduses), caractérisés
par un squelette calcaire. Les coraux vivent généralement en colonies
d'individus qui sont des « superorganismes ». Les individus sont nommés « polypes ».
C’est ce squelette calcaire qu’on peut parfois trouver dans
le sable. J’ai rangé ma collection dans une boîte vitrée achetée à la
Ressourcerie (3$) et j’ai commencé à identifier les spécimens, puis le moral m’a
manqué.
C’est que, voyez vous…
…l'explosion du 20 avril 2010, sur la plate-forme pétrolière
Deepwater Horizon a causé une marée noire qui s’est répandue dans le Golfe du Mexique,
causant une catastrophe écologique épouvantable. Les études de Steve Ross, de
l'université de Wilmington, démontre que plusieurs espèces de corail ont
disparu de la surface de la Terre suite à ce cataclysme.
C’est donc bien tristement que j’ai découvert que mon
cabinet contenait deux espèces de corail qui n’existent plus désormais.
Et si vous googlez le mot « corail », vous verrez
que les choses ne sont pas en voie de s’arranger pour ces magnifiques animaux…
Perle
Après les funérailles parmi les coraux sur lesquelles s’achèvent
la première partie du roman, la seconde commence avec l’exploration, en
chapitres 2 et 3, d’une fosse aux huitres perlières, où Nemo cache une perle
valant dix millions de francs.
Là, le capitaine Nemo s’arrêta, et de la main il nous
indiqua un objet que je n’avais pas encore aperçu.[…] C’était une huître de
dimension extraordinaire, une tridacne gigantesque, un bénitier qui eût contenu
un lac d’eau sainte, une vasque dont la largeur dépassait deux mètres, et
conséquemment plus grande que celle qui ornait le salon du Nautilus. […] Là,
entre les plis foliacés, je vis une perle libre dont la grosseur égalait celle
d’une noix de cocotier. Sa forme globuleuse, sa limpidité parfaite, son orient
admirable en faisaient un bijou d’un inestimable prix.
Une perle se forme lorsqu’un débris (souvent un grain de
sable) tombe sous le mollusque. Pour se protéger, l’animal enduit lentement ce
débris de nacre, créant une perle.
On peut trouver des morceaux de nacre n’importe où…
…mais les perles sont plus rares. La mienne est beaucoup
plus modeste que celle du capitaine Nemo : mon ami Érick, joaillier de métier,
ne l’évalue pas à plus de 15$.
Éponge
Au chapitre 4 de la seconde partie, le Nautilus traverse la
Mer Rouge où on parle longuement des éponges et de leur récolte.
L’éponge n’est point un végétal comme l’admettent encore
quelques naturalistes, mais un animal du dernier ordre, un polypier inférieur à
celui du corail. Son animalité n’est pas douteuse, et on ne peut même adopter
l’opinion des Anciens qui la regardaient comme un être intermédiaire entre la
plante et l’animal. […] J’appris à Conseil que ces éponges se pêchaient de deux
manières, soit à la drague, soit à la main. Cette dernière méthode qui
nécessite l’emploi des plongeurs, est préférable, car en respectant le tissu du
polypier, elle lui laisse une valeur très-supérieure.
Comme l’explique Verne, dans l'histoire de la biologie, les éponges
ont longtemps été considérées comme un végétal. La répartition géographique des
éponges est très large, car elles ont colonisé les eaux marines, douces et
saumâtres, de profondeurs faibles jusqu'à plus de 5 000 m de fond, sous tous
les climats.
J’ai trouvé mes propres éponges dans une brocante, dans ce
sac scellé, portant un ancien logo du Ministère des Richesses Naturelles. L’étiquette
mentionnait l’année 1963 et stipulait qu’elles provenaient du Golfe du
St-Laurent. On me l’a cédé pour 3$.
Les éponges sont capables de se régénérer, même si elles
sont écrasées, râpées et tamisées afin de dissocier complètement les cellules :
les cellules sont capables de se réassocier spontanément pour former de
nouveaux individus. Selon des études récentes, les éponges peuvent atteindre
des âges très avancés, surtout celles vivant dans les océans froids et qui ont
une croissance très lente. Cette étude estime l'âge des plus grandes Scolymastra
joubini à au moins 13 000 ans. Cela ferait de ces éponges parmi les plus
vieux êtres vivants au monde.
Il paraît qu’on peut apprêter les éponges en dessert délicat…
si quelqu’un a déjà testé une recette, l’inscrire dans les commentaires !
Fanons de baleine
Faisant route vers le pôle Sud, Verne nous entretient
longuement sur les baleines durant le chapitre 12 (seconde partie). Il faut dire que l’un des personnages, le Québécois
Ned Land, est un grand chasseur de baleines.
On divise souvent les baleines en deux groupes : celles
à dents et celles à fanons.
Un fanon est composé de deux plaques rigides entre
lesquelles on trouve des poils. Les poils sont visibles sur la partie vers
l'intérieur de la bouche. Les fanons permettent aux baleines de se nourrir de
petites proies telles le krill et les copépodes.
Ils agissent comme un filtre
laissant circuler l'eau mais retenant les éléments nutritifs plus gros, qui se
prendront dans les poils. La baleine ouvre la gueule en avançant et emprisonne
ainsi de l'eau et des particules (krill mais parfois aussi poissons), puis elle
applique sa langue contre les fanons ce qui laisse s'échapper l'eau et qui
retient les éléments solides dont elle se nourrit. De plus grosses proies comme
des poissons ou même des oiseaux marins seront retenues par les fanons, mais
recrachées si elles sont trop volumineuses pour passer l'œsophage, dont le
diamètre est faible chez les baleines. L’histoire de Pinocchio (ou de Jonas) n’a
donc aucun sens…
J’ai déniché au Fou du Roi, à Rimouski, cet échantillon de fanons
de baleine. Je me suis d’ailleurs étonné de constater à quel point c’est souple.
On dirait des poils de balai ; même les vibrisses des chats sont plus dures.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire