Dans ce billet, je vous parle de mythes, de rêveries d’enfant,
d’Histoire du commerce, de génétique et de l’art de restaurer un insecte en
morceaux… mais ce sera plutôt décousu.
Autant comme étudiant en génétique défroqué que lorsque j’étais
enfant, j’ai toujours été fasciné par ces espèces dont on ignore l’origine.
Prenez le chien : bien qu’on ne risque pas de voir une bande de bichons
maltais traquer un cerf en meute, on sait très bien qu’il s’agit (fort
probablement) d’une espèce issue du loup.
D’autres espèces posent un problème plus important quand
vient le temps d’en retracer l’origine. Le lama, par exemple, n’existe pas à l’état
sauvage. Les civilisations précolombiennes ont conçu cette espèce en
sélectionnant et croisant des spécimens de guanaco et de vigogne (deux animaux
sauvages cousins), puis en élaborant des lignées très spécifique.
Les origines du maïs sont encore plus mystérieuses et n’ont été révélés que par les récentes études en la biologie moléculaire, qui
accréditent aujourd’hui la théorie selon laquelle la téosinte est l’ancêtre du
maïs cultivé — toute une surprise, car les deux plantes ne se ressemblent pas
beaucoup.
Téosinte (à gauche) et maïs (à droite)
Quand j’étais enfant, j’étais fasciné par les mythes des
continents perdus : Atlantide, Mu, Lémurie, Thulé, Hyperborée et
Kumari-Kandam, pour ne nommer que les plus connus (ah ! 20 000 lieues
sous les mers, Les Cités d’Or, Thongor de Lémurie et j’en passe…) J’étais persuadé que les
animaux et les plantes dont on ne pouvait retracer l’origine avaient été apportés
par ces civilisations perdues qui, fuyant les cataclysmes, n’avaient pris avec
eux que les espèces les plus essentielles à leur survie. Le peuple de Mu, selon
mon hypothèse de gamin, se nourrissait forcément de maïs et avait domestiqué le
lama, dont les espèces sauvages avaient péri avec le reste du continent.
Pour se vêtir, forcément, ces peuples anciens et raffinés usaient de la soie. La « preuve » ? Le ver à soie n’existe pas dans la nature !
Carte sur mon mur montrant une vision d'artiste de l'Atlantide, d'après divers textes...
Non, je ne crois plus à ces légendes depuis l’âge de 12 ans,
environ…
mais avouez que c’est extraordinaire à imaginer !
Bon… lâchons les mythes de civilisations perdues et soyons
sérieux.
Les tissus de soie sont principalement issus du cocon
produit par la chenille (ver à soie) du bombyx du mûrier (bombix mori)
pour la soie de culture, et du ver à soie Tussah (plusieurs espèces de
chenilles du genre Antheraea) pour la soie sauvage.
Le bombyx mori (bombyx du mûrier, dont la chenille
est nommée « ver à soie ») est inconnu à l'état sauvage. C'est un
produit tout à fait artificiel de sélection par élevage. Pendant des
millénaires, les Chinois ont croisé des lignées, sélectionnés des sous-espèces,
introduits dans le cheptel d’autres sous-espèces, éliminés les croisements décevants
pour obtenir, par simple élevage, un résultat si complexe qu’il est impossible,
même avec la science génétique actuelle, de retracer « l’arbre
généalogique » de l’espèce.
D’ailleurs, l’espèce n’est même pas viable sans l’Homme. Les
cocons sont si grands et si durs que les papillons ne peuvent s'en échapper que
s'ils sont aidés : ils mourraient sans les humains.
À l'état domestique où il a été réduit, le papillon femelle
ne vole pas. La femelle apparaît avec des ailes blanches, des antennes peu
développées et un abdomen volumineux. Ils sont incapables de consommer ni
nourriture, ni eau à l'état adulte. La femelle pond en sortant de la chrysalide,
puis meure.
Une étude des stades du bombyx mori
La passion pour cette fibre textile fut l’un des grands
moteurs civilisateurs de l’Histoire. De l’Occident, des commerçant voyageait
vers l’Orient pour s’en procurer, élaborant ce qu’on appela la Route de la
Soie. Non seulement il en découlera des échanges culturels, mais il s’agira d’une
des motivations (avec les épices et les gemmes) de chercher une route vers l’Orient
par l’océan, et ainsi (re)découvrir l’Amérique.
L’usage de la soie semble débuter, selon les découvertes récentes, en Chine entre 3000 et 2000 ans av. J.-C. (le plus vieux fragment de soie découvert en Chine datant de 2570 av. J.-C.). La technique a été tenue secrète jusqu'en 560. Trois millénaires d’exclusivité durant
lesquels la Chine aurait fait commerce de ce tissu précieux sans jamais en
transmettre le secret. D’autres civilisations tentèrent de percer le secret de
l’art de fabriquer la soie par le biais d'espions de tous genres (principalement
des moines en « voyage d’étude » dans les temples chinois et des princesses
offertes en mariage).
On finit par en découvrir l’origine, mais il était fort
difficile de ramener ses vers introuvables dans la Nature en grandes quantité vers
d’autres contrées pour démarrer un élevage. Mais le secret était éventé, et on découvrit vite qu’un
papillon sauvage, Antheraea pernyi (de la famille des Saturniidae)
pouvait lui aussi produire de la soie dite « sauvage ».
C’est par un total hasard que j’ai découvert mes spécimens
mâle et femelle d’Antheraea pernyi : dans un bric-à-brac, on
vendait des dizaines de cadres en bois pour 1$ chacun. J’y cherchais de quoi
encadrer ma collection de plumes et je suis tombé sur ceci :
Mais les spécimens étaient en bien plus mauvais état que
cela. Ils ne tenaient plus dans le cadre ; rassemblés au fond du cadre, les
corps sans ailes, les ailes détachées, des antennes…
Je n’avais pas grand-chose à perdre sinon mon dollar — au
pire, m’étais-je dis, je pourrais récupérer la boîte vitrée pour un autre
spécimen et je pourrais exposer une aile dans une grosse fiole, à cette manière :
Mais une fois à la maison, j’ai quand même décidé de tenter
une restauration. J’ai commencé par afficher une photo HD prise sur Google pour
départager quels morceaux allaient avec quels spécimens ; ensuite, j’ai laissé
tomber une goutte de crazy glue sur une miette tombée d’une aile. J’avais
peur que la puissance de la colle ne dissolve l’aile mais non, ça fonctionne
bien !
Armé de pinces à sourcils et de ma colle folle, j’ai ainsi
remonté les spécimens.
J’ai finalement humidifié le centre des corps au
compte-goutte et repiqué des épingles, pour le résultat montré plus haut.
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