mardi 17 mars 2020

Fantastiques végétaux (2) : fascinants mutants

Hier, j'ai vu le film Annihilation (2018) et aujourd’hui, c’est la Saint-Patrick !

Pour la plupart des gens, les deux éléments n'ont rien en commun et pourtant ! Dans la tête d'un ancien étudiant en génétique / lecteur et auteur de SF, les deux éléments sont très proches !

Plus ou moins au milieu du film (oui, le roman est meilleur et oui, le scénario a quelques trous mais c'est quand même très bien fait), Nathalie Portman, dans son rôle de biologiste, tombe sur ces fleurs :




Elle affirme, très justement, qu'il s'agit forcément de mutations au sein d'un même organisme, car même si les fleurs diffèrent en couleur et en forme, elles sont toutes attachées à la même tige.

Bon, la même chose ne s'est pas encore produit à cette échelle dans la réalité, mais il s'agit sensiblement de la même chose pour une curiosité très convoitée au Moyen-Âge et à la Renaissance, c’est-à-dire le trèfle à quatre feuilles.

Il s’agit de spécimens fascinants, tant au niveau culturel que botanique.

Une étude botanique du trèfle blanc où l'artiste a intégré un spécimen à quatre feuilles. 


Le trèfle à quatre folioles est une mutation du trèfle blanc (Trifolium repens). Les sols pollués ou riches en potassium produisent davantage de trèfles à quatre feuilles — un élément intéressant à retenir ici est que le potassium est l’un des responsables des mutations génétiques naturelles. On peut trouver des trèfles à cinq ou six feuilles, parfois davantage. En 2009, le Japonais Shigeo Obara est parvenu à obtenir un trèfle à 56 feuilles en le cultivant dans du gravier prélevé à Nagasaki.



La civilisation occidentale a vite remarqué la rareté des trèfles à quatre feuilles et lui a presque toujours attribué des vertus merveilleuses.

Pour Sophocle, ce trèfle renfermait un venin terrible. Pline l’Ancien, au contraire, lui attribuait d’être un antidote à la morsure de serpent.
  
Selon une tradition chrétienne chaque feuille du trèfle, porté par Ève chassée de l'Éden et de forme rappelant la Croix, représente une des vertus théologales. La première feuille est pour l'espérance, la seconde est pour la foi et la troisième est pour la charité. S'il pousse alors une quatrième feuille, il s'agit d'une faveur situant hors des Vertus, donc la chance.



Mon cabinet ne pouvait se passer d’un trèfle à quatre feuilles !
(don de l’artiste Miyako Matsuda également quadrifoliiste à ses heures).


Au Moyen-Âge, selon la littérature courtoise, le trèfle à quatre feuilles est un gage d'amour. Aux folioles ont été associées l'espoir, la foi, l'amour et la chance. Il convient alors, pour les amoureux, de conserver sur soi un brin dudit végétal. On s’en servait aussi pour créer des philtres d’amour. Dans les mythes arthuriens, avant qu'Iseult ne s'embarque pour la Cornouailles, la mère de la jeune fille confia à Brangaine (servante d'Iseult) un filtre d'amour où l'un de ces trèfles a infusé.


Pour les Irlandais traditionnalistes, le trèfle à quatre feuilles est chargé d’une très forte symbolique. Si Saint Patrick, Patron de l’Irlande, s’est servi du trèfle pour expliquer la Sainte Trinité aux Irlandais (trois feuilles d’une même plante, trois Incarnations d’une même divinité), il s’avère que les druides croyaient que le détenteur du trèfle à quatre feuilles avait le don de percevoir la présence des démons. Le trèfle quadrifolium est donc un rappel qu’il existe « des Puissances plus anciennes et plus dangereuses que le Dieu chrétien » et est un symbole de sorcellerie.



Parce qu'il pouvait passer pour une croix, le trèfle est une représentation païenne qui est parvenue à passer très facilement dans la chrétienté.  


Il est intéressant de s'attarder sur le fait que 10% des Irlandais sont eux-mêmes des mutants. En effet, chez eux, le dixième de la population est rousse, ce qui est causé chez les humains lorsque deux exemplaires d'un allèle récessif provoque une mutation du gène MC1R (un gène déterminant la couleur des poils chez les vertébrés).



La rousseur est plus fréquente chez les Nord-Européens et les Sémites, mais elle peut toutefois apparaître chez toutes les ethnies (Asiatiques, Noirs Africains, Maghrébins, Hindis, Polynésiens, Premières Nations et ainsi de suite) bien qu'elle y soit rarissime. Les Néandertaliens était probablement roux en très forte majorité (tous les ADN analysés portent la mutation). On trouve aussi la rousseur chez tous les grands primates.



L'orang-outan est le seul primate actuel où la rousseur est présente chez 100% des individus 
(photo de l'exposition Curiosités du Monde Naturel)...


Dans la littérature médiévale, le roux est également associé au renard : c'est souvent une référence au Roman de Renart, qui propose une vision ambiguë du célèbre animal. 


Ma queue de renard

Au Moyen Âge, les cheveux roux étaient le signe de sorcellerie. En effet, on pensait que les sorciers vouaient leur âme et leur corps au Diable et que celui-ci les marquait leur chevelure d'une couleur de braise. Croiser un roux effrayait car nombreux étaient ceux qui pensaient qu'il s'agissait d'un loup-garou.


Les Irlandais de la Grande Famine du XIXe siècle ont amené avec eux la croyance dans le pouvoir magique du trèfle à quatre feuilles... mais avant eux, les Français avaient amené l'idée des roux sorciers.

Ces deux croyances se sont associées au Québec.

Chez presque tous les grands conteurs (Fréchette, Wenceslas-Dick, Dubé et ainsi de suite), les loups-garous sont roux. On utilise alors le trèfle à quatre feuilles pour se protéger de ces créatures maléfiques.

Ici un extrait d'un conte d'Honoré Beaugrand  :


C'était une ronde de loups-garous que le diable avait réunis pour leur faire boire du sang de chrétien et leur faire manger de la viande fraîche […] mon défunt père était en train de charger son fusil pour tirer sur les possédés qui continuaient à crier comme des perdus en sautant en rond autour du feu. Il fallait se dépêcher car le bateau filait bon train devant le nord-est.

— Vite ! Pierriche, vite ! donne-moi la branche de rameau bénit, qu'il y a à la tête de mon lit, dans la cabine. Tu trouveras aussi un trèfle à quatre feuilles dans un livre de prières, et puis prends deux balles et sauce-les dans l'eau bénite. Vite, dépêche-toi !  


Ici, le trèfle à quatre feuilles, mêlé au rameau, est supposé servir de bourre pour tirer sur les lycanthropes, mêlé au rameau bénit pour « purifier » l’effet magique.    

Plusieurs cabinetiers tenaient donc des mèches rousses dans leur cabinet : celle-ci devait alors être aussi "poils de carotte" que possible afin d'être présentés comme des cheveux de sorciers ou de loups-garous.

Je n'ai toujours pas croisé de contributeur potentiel, qu'il soit loup-garou, sorcier ou Irlandais... mais je serais preneur pour une longue mèche très rousse, presque orangée.





Sur ce, joyeuse St-Patrick !





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