...cette année, quelques enseignantes m’ont demandé si j’acceptais de répondre aux questions de leurs élèves qui lisent le blogue.
C’est avec un grand plaisir que j’ai accepté.
***
C’est à quelle âge que tu as commencé ton cabinet ? (M.G., classe de madame Martika)
Techniquement, j’ai une sorte de cabinet depuis aussi loin que je me souvienne. Quand j’étais petit, (déjà à cinq ans) je ramassais des plumes et de jolis cailloux et j’emplissais une boite à chaussures — cette boite est mon premier cabinet. J’avais aussi demandé à ma mamie de me ramener des coquillages d’un de ses voyages. Il y avait dans ce lot des coraux fossilisés et un hippocampe séché (qui m’avait beaucoup impressionné).
Ce que m'avait rapporté ma Mamie... j'ai fabriqué le présentoir il y deux ans...
...et ceci, c'est ma collection à présent.
Parfois j’allais chez un paysagiste, monsieur Gravel (ça ne s’invente pas !) et il me donnait des pierres inhabituelles qui arrivaient dans ses lots : j’ai obtenu ainsi un magnifique morceau de labradorite que je possède encore. Mon oncle Marcel, qui avait beaucoup voyagé, me donnait des pièces de monnaies de nombreux pays. Je laissais aussi des feuilles d’automne à sécher entre les pages d’un gros dictionnaire. C’est à cela que ressemblait mon premier cabinet. J’ai mis cette passion de côté pendant de nombreuses années par la suite, mais j’y suis revenu à l’âge adulte.
Quel est ton objet le plus ancien ? (A.A., classe de madame Kathryn)
C’est une question difficile à répondre considérant que certains minéraux ont des centaines de millions d’années et que je ne suis pas équipé pour les dater, pas plus que je connais les gisements où chacun a été extrait — et là je ne parle même pas de mes morceaux de météorites ! La curiosité la plus ancienne que je suis certain de dater est un fossile de trilobite Elrathia kingi qui date du Cambrien (il y a environ 500 millions d’années). Si on parle d’objets fabriqués par l’Homme, mon plus ancien est une pointe de flèche grecque datant de la bataille de Marathon.
C’est quoi ton objet qui vaut le plus cher ? (E.T. classe de madame Kathryn)
C’est difficile d’y répondre, d’une part parce que la valeur dépend souvent de ce que l’acheteur est prêt à mettre, d’autre par parce que la valeur monétaire d’un objet ne m’intéresse pas beaucoup. Je suis toutefois obligé de me renseigner un peu, ne serait-ce que pour les assurances. La pipe à opium que j’ai présenté il y a quelques semaines est peut-être l’objet qui pourrait le plus facilement et le plus rapidement être monnayé pour un gros montant. J’ai aussi une défense de morse qui doit valoir son pesant d’or, au prix actuel de l’ivoire…
Où trouves-tu tes fossiles ? (O.-M. A., classe de madame Martika)
Si j’ai trouvé quelques fossiles moi-même, certains autres me viennent d’échanges et certains encore ont carrément été achetés. Mais dans l’ensemble, voici les lieux fossilifères où j’ai déjà fait des découvertes :
— Les abords de la voie ferrée de St-Georges de Champlain (j'avais trouvé celui-ci avec mon petit frère)
— Le parc de la rivière Sainte-Geneviève de la Jacques-Cartier
— À proximité du pont qui enjambe la rivière du terrain de golf de Courville (le propriétaire est toujours enchanté de laisser les gens faire des fouilles à condition de pouvoir prendre les trouvailles en photo).
— Le parc de Miguasha
— Le parc de la chute Montmorency
— Les berges de l’Île des Sœurs à Montréal
— La plage pierreuse du Domaine Joly de Lotbinière
— La zone fossilifère de Notre-Dame-du-Nord
— La carrière St-Nicolas à Lévis
As-tu déjà eu peur d'un insecte et si oui lequel ? (B.N., classe de madame Kathryn)
Quand j'avais cinq ans, j'étais en maternelle et alors qu'on jouait dans le parc en arrière de l'école, un longicorne noir s'était posé sur ma main. C'est déjà un gros insecte...
...mais sur une main d'enfant de cinq ans ça donne ceci (excusez le montage moche).
Tous mes amis s'étaient mis à hurler et moi aussi. J'avais déjà peur, mais la panique des autres enfants avait amplifié ma terreur. J'en ai fait des cauchemars où des dizaines de longicornes envahissaient mon lit.
J'ai tellement été marqué par cette histoire que encore aujourd'hui, quand je songe au longicorne noir, je le visualise comme s'il était plus grand que ma main d'adulte, alors qu'en réalité il ne dépasse pas cette taille...
P-S : je n'ai plus peur des longicornes aujourd'hui. Déjà à huit ans, j'en capturais à mains nues pour les lancer à ma cousine Julie-Anne.
Est-ce qu'il y quelque chose en rapport avec ton cabinet que tu pensais qui était vrai mais qui était faux ? (F.St-D., classe de madame Martika)
Je ne suis pas certain de comprendre le sens de ta question.
1) si tu veux savoir si j'ai déjà cru quelque chose de complètement erroné, et bien quand j'étais petit, je pensais que les scarabées rhinocéros portaient ce nom parce qu'ils avaient la taille des rhinocéros.
Quelle invincible créature ce serait !
2) si tu veux savoir si j'ai déjà cru qu'une de mes curiosités était authentique alors qu'elle ne l'était pas, oui, ça m'est déjà arrivé. Je fais trop facilement confiance aux autres cabinetiers et j'ai déjà accepté des copies d'antiquités ou des moulages de fossiles alors qu'on me les vantait authentiques. Parfois les gens sont malhonnêtes mais le plus souvent ils ont eux-mêmes été mal informés. Je suis davantage vigilant à présent.
S’il y avait un feu et que tu pouvais sauver un seul objet ça serait lequel ? (F.-X. G., classe de madame Karell)
S’il y avait un incendie chez moi je penserais d’abord à ma conjointe et ma fille, puis ensuite à ma clé USB contenant tous mes fichiers ! Mais d’accord, je me prête au jeu : je crois que je prendrais mon fossile d’ichtyosauridé, que j’aime beaucoup mais que ma fiancée adore par-dessus tout !
C’est quoi ton rêve le plus fou mais qui est possible en tant que cabinetier ? (H.M., classe de madame Martika)
Il y a deux ans, j’ai tenté de remonter la piste d’un ancien naturaliste lévisien dont j’ai découvert l’identité par hasard (voir : https://excentriqueunivers.blogspot.com/2019/11/sur-la-piste-dun-confrere-naturaliste.html ). Mes recherches n’ont pas donné beaucoup de résultats, mais ça m’a amené à réfléchir. L’herbier de cet ancien naturaliste possédait des plantes du Sri-Lanka et ce pays a perdu plus de la moitié de sa biodiversité végétale durant les 75 dernières années. Or, beaucoup de plantes des pays chaudes ont des graines qui peuvent rester sèches indéfiniment puis se remettre à germer dans l’eau, même après des décennies. Alors mon rêve le plus fou serait de retrouver l’un des herbiers de ce naturaliste oublié, d’y trouver la graine d’une plante disparue et de la ressusciter ; alors je pourrais donner à ce scientifique un peu de visibilité tout en redonnant à notre planète l’une des plantes qu’elle a perdue.
(En passant, je crois que les musées devraient recenser tous leurs anciens herbiers pour voir de quelles semences potentiellement viables ils disposent et lancer un projet international de résurrection végétale).
As-tu déjà brisé un spécimen que tu n’as jamais capturé par la suite ? (K. D., classe de madame Karell).
Oui, une rhysse noirâtre. Tu peux lire l’histoire ici
https://excentriqueunivers.blogspot.com/2019/07/entomologie-1-les-monstres.html
Serais-tu prêt à commettre un crime pour ajouter un objet à ta collection ? (A. S., classe de madame Martika).
Non. Je n’ai pas envie de voir grandir ma fille à travers les barreaux d’une cellule juste parce que je voulais ramasser un quelconque objet.
Comment tu fais pour savoir l’époque d’un objet ou son histoire ? (T. P., classe de madame Martika).
Il y a plusieurs indices sur un objet : le nom du fabricant, son apparence générale, ses matériaux. Je fais partie d’une petite communauté où on retrouve d’autres cabinetiers, des antiquaires et des collectionneurs. C’est un vrai travail de détective où il faut ramasser tous les indices possibles en examinant attentivement l’objet sous tous ses angles. Parfois je suis devant un cul-de-sac et je dois googler le nom de mon objet (exemple, « scalpel antique ») dans Google image. J’observe toutes les photos les unes après les autres en espérant voir un objet identique au mien — alors je clique et je lis tout ce qui est écris. Si je ne trouve rien, je recommence dans d’autres langues en utilisant Google Traduction. Si encore là, je ne trouve rien, je transporte l’objet avec moi quand je fais le tour des antiquaires, en espérant que l’un d’eux pourra me dire quelque chose.
Est-ce que des fois tu te fais avoir dans un échange ? (S.V., classe de madame Kathryn).
Si tu parles de valeur monétaire, on pourrait dire que oui, mais de mon point de vue je ne me fais jamais avoir parce que je ne ramasse que des curiosités qui me font vibrer, qui me séduisent ou m’émerveillent. J’ai déjà échangé une médaille antique de St-Christophe (trouvée dans un vide-grenier pour 10$) évaluée à 300$ pour une « moqui marble » (de curieuses pierres de formes sphériques enrobées d’une coque d’oxyde de fer de la région des grès de Navajo, aux États-Unis. Le robot Opportunity en a découvert de similaires sur Mars, surnommées "martian blueberries"). La médaille de St-Christophe est un bijou qu’on peut revendre chez n’importe quel antiquaire pour un bon prix ; la moqui marble ne vaut absolument rien, mais depuis 1960 il est interdit d’en ramasser sous peine de lourde amende…
Alors d’un point de vue monétaire, on peut dire que je me suis fais « avoir »… mais considérant que les moqui marbles me fascinent depuis l’enfance, je trouve que c’est moi le gagnant dans cet échange, car j’ai échangé un objet dont je me contrefiche pour un objet que j’adore.
Est-ce que les gens te trouvent bizarre ? (L.N., classe de madame Karell)
Oui. Et ceux qui m’aiment disent que c’est l’une de mes qualités.
Ma mère ne veut pas que je rentre des insectes dans la maison et je voudrais en collectionner qu’est-ce que je peux faire ? (A.L., classe de madame Kathryn).
Hahaha ! J’ai eu le même problème quand j’étais enfant ! C’est difficile de convaincre une personne qui a peur des insectes d’en garder chez soi et insister n’est pas très respectueux. Mieux vaut chercher à comprendre. Commence par demander à ta mère ce qui la dérange. Le mouvement des bestioles ou la peur qu'ils pondent à l'intérieur ? Peut-être que si tu euthanasies tes spécimens à l’extérieur, dans une remise ou un garage, elle sera à l’aise que tu entres ensuite tes insectes épinglés. Leur apparence en général ? Dans ce cas, parmi les options qui s’offrent à toi, la meilleure serait de demander à un autre membre de ta famille (un grand-parent, un oncle ou une tante, peut-être) d’héberger ta collection.
Tu peux aussi chasser les insectes avec un appareil photo et monter un album en identifiant chaque spécimen ; ça te permettrait de contribuer à iNaturalist, un site qui cumule les observations de la biosphère mondiale.
