...ou peut-être serait-il plus juste de dire « curiosités gigognes » ?
Il arrive parfois qu’une curiosité en renferme une autre. Par exemple, j’ai mis la main sur une dépouille de tortue serpentine que je souhaitais garder pour le squelette. Quand vint le moment du remontage, j’ai découvert parmi les os ceux d’une patte de grenouille — probablement son dernier repas.
Parfois je ramasse des pierres et je découvre qu’un seul échantillon rocheux renferme plusieurs minéraux d’intérêt. D’autres fois, ce sont de vieux objets qui fournissent un indice de leur histoire. Souvenez-vous de mon gros journal vierge dans mon billet « Sur la piste d’un confrère naturaliste oublié (25 novembre 2019) ».
Aujourd’hui je vous parle de l’une de ces grosses malles de voyage, presque intemporelle, que tout le monde a déjà vu mais que personne ne possède. Une sorte d’archétype de la vieille malle. Elles sont difficiles à dater car on a reproduit le même modèle entre les années 1870 et la période d’après-guerre. Il s’agit de l’ancêtre des valises sur roulettes, certes moins faciles à trimbaler, mais ô combien plus romantiques.
On les utilisait à l’époque où la diligence, le train et le navire étaient les moyens de voyager les plus fréquents. On les appelle même « steamer trunks » en anglais, soit « malles de navire à vapeur ». Il fallait placer ses effets dans un coffre solide et facile à empiler, car on entassait les bagages jusqu’au plafond.
D’ailleurs, il est intéressant de noter que les malles avec un couvercle plat étaient toujours les plus abordables, alors que celles avec un couvercle en dôme étaient ornementées et chères.
Pourquoi ?
Si votre malle avait un couvercle en dôme, elle devait être placée au sommet d’une pile, car on ne pouvait pas mettre une autre malle par-dessus. Donc, une fois à destination, les riches recevaient leurs bagages en premier car ceux-ci étaient au sommet des piles. Un couvercle bombé était synonyme d'aisance sociale et pour justifier le prix élevé, celles-ci étaient gravées, enjolivées et plaquées de métaux semi-précieux.
Qu’importe la forme, elles se devaient d’être virtuellement indestructibles et pour cela, elles passaient d’une génération à l’autre. Ces malles contenaient le condensé d’une vie quotidienne, car voyageait souvent pour des mois. Certaines étaient même conçues pour se transformer automatiquement en meuble une fois à destination.
Avec la grande crise économique de 1929, les malles ont cessé de voyager et sont devenues, pour la plupart, des coffres d’entreposage, surtout pour la literie d’hiver. L’épaisseur du coffre et son étanchéité protégeait des mites et des rongeurs ; une branche de cèdre ajoutée aux courtepointes gardait de la moisissure et des mauvaises odeurs.
Après la seconde guerre, on a peu à peu cessé d’en produire. D’ailleurs, la « valise à main » faisait son apparition — celle de George dans It’s a wonderful life est sûrement la plus iconique de toutes. Légère, elle pouvait être trimballée d’une seule main et convenait de plus en plus aux transports aériens où le poids était limité.
La vocation « de voyage » des grosses malles est passée définitivement à l’entreposage. Puis, avec l’amélioration de la qualité de vie moyenne des populations, les maisons se sont agrandies, les placards ont remplacé les greniers et l’usage des malles est devenu de plus en plus inusité. Dans les années 50, la voiture se démocratise. La mode des « dimanches à la campagne » rend l’usage des grosses malles incompatible avec la taille des coffres arrière des voitures.
Dans les années 60, on trouve de vieilles malles abandonnées sur les terrains vagues ou flottant sur les cours d’eau, ayant été jetées d’un pont. La « population » des vieilles malles est décimées, si bien que dès les années 70, les antiquaires commencent à les traquer activement.
Ma propre malle (ou la curiosité #1)
J’ai trouvé ma malle à la Ressourcerie, le magasin de seconde main OBNL de Lévis où des antiquaires aiment à s’approvisionner. On y trouve des merveilles pour une poignée de dollars, et c’est ainsi que je suis tombé amoureux de cette malle-ci pour 30$.
Elle est difficile à dater. Il s’agit du modèle « courrier », soit l’un des plus abordables et des plus populaires de jadis. D’après mes recherches, les matériaux, le motif du papier peint et les dimensions laissent à croire qu’elle fut fabriquée entre de 1900 et 1920. Par contre, on a imité les vieux modèles pendant plusieurs années… alors allez savoir.
La surprise (ou curiosité dans la curiosité)
Parce que oui, la malle contenait un mystère (tant pis pour le cliché) que je n’aurais peut-être jamais découvert si l’ancien propriétaire n’avait pas été fumeur.
La malle puait la cigarette et si vous n’êtes pas vous-même fumeur, c’est l’une des odeurs les plus dérangeantes du monde… ça se répand, ça s’infiltre partout, ça rampe et ça fini par empester la pièce entière, quand ce n’est pas toute la maison.
Le truc que j’ai reçu d’un antiquaire — et c’est un excellent truc que je vous encourage à utiliser — était de frotter l’intérieur avec de l’amidon de maïs (la fameuse poudre à bébés, le talc n’étant plus utilisé). Ensuite, remplir la malle de rognures de cèdres fraîchement coupés. Et finalement, laisser la malle sous un soleil de plomb pendant plusieurs jours.
Vous pouvez en profiter pour y mettre d’autres objets, plus petits, qui répandraient le même miasme.
Ça fonctionne comme un charme — mais en jouant les Madame Blancheville, j’ai frotté un peu trop fort et un coin de papier s’est déchiré.
C’est là que j’ai découvert deux billets de banque antique :
1000 Couronnes de l’Empire Austro-Hongrois
25 Roubles de l’Empire Russe, où on voit la date de 1909
C’était extraordinaire et peut-être qu’il y en a d’autres : avec mon déménagement, je n’ai pas pris le temps de découper le papier peint avec un x-acto pour voir s’il cachait autre chose (et je veux le faire délicatement, car je souhaite recoller le papier peint après).
Mais pour ma malle, ce n’est pas un mode de datation très fiable. On pourrait croire que la malle a forcément le même âge (ou davantage) de son contenu, mais c’est une erreur de débutant : ouvrez votre tirelire et observez la monnaie qu’elle contient. Il y a probablement des pièces datant des années 60, si ce n’est pas d’avant. Pourtant votre tirelire peut très bien avoir été fabriqué le mois passé.
Alors, peut-on dire que la malle date au moins de 1918 car la Autriche-Hongrie a existé jusqu’en 1918 et que par la suite, l’ancienne monnaie n’avait plus court ?
Encore là, ça ne veut pas que le voyageur a visité l’Empire de François-Ferdinand : j’ai plusieurs devises de nombreux pays que je n’ai pas visité, notamment quelques pièces de l’Empire Byzantin offerte par mon oncle. Alors bien entendu, si quelqu’un, dans cent ans, trouvait le coffret où j’ai rangé ces pièces et en déduisait que ce même coffret provient de Constantinople et qu’il est âgé de mille ans, il aurait tort.
Ces billets peuvent avoir été offerts par quelqu’un. Ils peuvent aussi avoir accompagné le premier propriétaire de la malle dans les Balkans. L’un des propriétaires de la malle peut avoir été billetophile (collectionneur de billets de banques — la numismatique ne s’intéresse qu’à la monnaie et aux médailles).
À moins que cette malle n'aie contenu les effets personnels d'une famille ayant quitté les Balkans à l'aube de la première guerre pour migrer ici ? L'Encyclopédie canadienne nous dit que les Hongrois arrivent au Canada en quatre vagues principales : environ 8 000 immigrent avant 1914, 26 000 autres de 1925 à 1930, puis de 1948 à 1952 et de 1956 à 1957.
La première vague pourrait expliquer le billet de 1000 couronnes. Ou pas. C'est facile de se laisser prendre au jeu d'inventer une histoire à une antiquité...
Peut-être vais-je en découvrir davantage lorsque mes rénovations prendront fin et que je pourrai examiner cette malle (et de nombreux autres objets qui attendent).
Je ferai aussi des recherches sur ces billets pour vous en parler davantage.
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