Dans un billet récent, je vous parlais du nautile, un céphalopode à coquille.
Je possède également la coquille d’un autre céphalopode, moins connu : l’argonaute.
Mais laissons à Jules Verne — ou plutôt à son personnage, le professeur Aronnax — le soin de nous le présenter alors que le Nautilus en fait la rencontre.
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À cinq heures du soir, avant ce rapide crépuscule qui lie le jour à la nuit dans les zones tropicales, Conseil et moi nous fûmes émerveillés par un curieux spectacle.
Il est un charmant animal dont la rencontre, suivant les anciens, présageait des chances heureuses. Aristote, Athénée, Pline, Oppien, avaient étudié ses goûts et épuisé à son égard toute la poétique des savants de la Grèce et de l’Italie. […] Nous pouvions en compter plusieurs centaines. Ils appartenaient à l’espèce des argonautes tuberculés qui est spéciale aux mers de l’Inde.
Ces gracieux mollusques se mouvaient à reculons au moyen
de leur tube locomoteur en chassant par ce tube l’eau qu’ils avaient aspirée.
De leurs huit tentacules, six, allongés et amincis, flottaient sur l’eau,
tandis que les deux autres, arrondis en palmes, se tendaient au vent comme une
voile légère. Je voyais parfaitement leur coquille spiraliforme et ondulée que
Cuvier compare justement à une élégante chaloupe. Véritable bateau en effet. Il
transporte l’animal qui l’a sécrété, sans que l’animal y adhère.
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L’argonaute a un dimorphisme sexuel très marqué, les
femelles adultes étant 10 à 15 fois plus grandes que les mâles. L’accouplement
est plutôt particulier : afin d’éviter d’être dévoré par la femelle, le
mâle va sectionner (autotomiser pour prendre le vrai terme) son « bras-pénis »,
nommé hectocotyle et l’envoyer
à la femelle pour qu’elle se féconde elle-même.
Après « l'accouplement », la femelle sécrète une sorte de coquille, la nacelle, qui peut mesurer jusqu'à 30 cm de long. Elle y dépose ses œufs, pour qu'ils éclosent. Elle s'accroche alors à la nacelle, et la transporte partout avec elle, afin de garder ses œufs en sécurité.
Lorsque la mer est calme et qu'il n'y a pas de danger,
l'argonaute remonte à la surface avec sa nacelle, et laisse sortir de l'eau
deux de ses tentacules, aplatis et équipés de petites membranes, qui les font
ressembler à des voiles.
On a jadis affirmé que l’argonaute utilisait ses tentacules plats pour naviguer, comme avec des voiles. Puis on a prétendu que c’était un mythe. Puis des observations récentes semblent réaffirmer que l’argonaute navigue réellement au gré du vent. Même la littérature spécialisée diverge à ce sujet… mais je dois admettre que je trouve tellement poétique l’idée de cette pieuvre gouvernant son petit navire…
En anglais, on surnomme l’argonaute paper nautilus, à
cause de sa ressemblance sommaire avec le nautile et de la finesse de sa
coquille. Faut vraiment la tenir dans ses mains pour comprendre ! Un coquillage
est généralement dur et plutôt lourd : la coquille du nautile est de ce
genre. Mais la coquille de l’argonaute est vraiment légère et fine… ceux de ma
génération ou plus âgés comprendront si je la compare à une hostie, pour les
autres je ne sais pas quel comparatif utiliser… du Rice Krispies, peut-être.
Cela dit, malgré le fait que le nautile et l’argonaute soient des céphalopodes pourvus de coquilles, ils restent de lointains cousins. Je repasse d’ailleurs le micro à l’oncle Jules pour la conclusion :
« …que la famille des dibranchiaux renferme trois
genres, l’argonaute, le calmar et la seiche, et que la famille des
tétrabranchiaux n’en contient qu’un seul, le nautile. Si après cette
nomenclature, un esprit rebelle eût confondu l’argonaute, qui est
acétabulifère, c’est-à-dire porteur de ventouses, avec le nautile, qui est
tentaculifère, c’est-à-dire porteur de tentacules, il aurait été sans excuse ».
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