Je n’oublierai jamais cette rencontre. J’étais à l’école
primaire et, lors d’une sortie à Montréal au traditionnel triptyque Jardin
Botanique / Biodôme / Insectarium, j’avais jugé qu’il serait amusant de prendre
l’araignée de plastique achetée à la boutique-souvenir et de la lancer à ma
prof en criant : « Regarde ce que j’ai attrapé ! ».
En guise de punition, j’étais privé de faire la troisième
visite, celle de l’Insectarium. J’avais littéralement fondu en larmes (et qu’importait
mon orgueil de préado devant les jeunes filles). Alors je restais sur un banc
avec un parent-accompagnateur, un « gentil vieux monsieur » est venu
me parler.
Il m’a demandé si j’aimais les insectes pour avoir réagi de
la sorte. J’ai répondu que « j’aimais tout » : les roches, les mammifères,
les plantes, les oiseaux, les dinosaures, les insectes, les araignées…
Avec un sourire espiègle, il m’a demandé pourquoi je disais « les
insectes et les araignées ». Tout gonflé de mon vaste savoir de gamin, je
lui ai expliqué, d’un ton professoral, que les araignées n’avaient pas d’antennes,
qu’elles avaient huit pattes, le corps divisé en deux sections, etc…
Vous l’aurez deviné, j’étais en train de faire la leçon au légendaire
entomologiste Georges Brossard...
Lui et moi avons parlé bestioles un bon quinze minutes, puis
il m’a dit qu’il était attendu. Je crois qu’il devait donner une conférence, je
ne m’en souviens pas bien.
Ce n’est que quelques mois plus tard que, lors d’un
documentaire présenté à Radio-Québec, j’ai découvert que mon mystérieux
interlocuteur était le fondateur de l’Insectarium de Québec.
Vingt-cinq ans plus tard, j’en rougis encore.
Ce matin, j’ai appris son décès et je déplore que peu de
gens sachent à quel point son influence fut majeure pour l’initiation des
Québécois jeunes et moins jeunes aux sciences naturelles.
Né en 1940 à La Prairie et passionné par les insectes depuis
l’enfance, il commence ses voyages entomologiques à 38 ans. En 1989, sa collection d’insectes dénombre 250 000 spécimens,
la plus vaste collection privée du monde. Cette même année, il propose au maire
Jean Doré d’ouvrir un Insectarium à Montréal.
À la demande de la Fondation Rêves d’Enfants, Georges
Brossard a amené avec lui le jeune David Marenger (un enfant atteint du cancer et
en phase terminale) dans la forêt tropicale afin qu’il puisse dénicher un
Morpho Bleu. Brossard risquera sa vie dans cette tâche difficile et parviendra
à capturer un papillon avec l’enfant. De retour de voyage, une série de test
révélera que le jeune David est guéri (je sais, ça ressemble à un conte de
fées, mais fouillez la presse si vous ne me croyez pas). Cette histoire fut d’ailleurs
le sujet d’un film, Le papillon bleu.
Mon propre spécimen de Morpho
bleu.
Depuis, Georges Brossard a également fondé un Insectarium à
Shangaï et en Afrique du Sud. Au dernier décompte, peu avant son décès, sa
collection personnelle s’élevait à 500 000 spécimens.
Par sa passion, monsieur Brossard aura contribué à éveiller l’intérêt
de milliers de gens aux sciences naturelles et, incidemment, à la beauté et la
fragilité de la biodiversité.
Merci pour cette jasette de quinze minutes, mystérieux
monsieur. J’ai peut-être raté cette visite, mais je suis retourné à votre
Insectarium six fois.
Merci pour la recette de miellée, aussi : elle m’a
beaucoup servie.
Et oui, j’ai fini par observer une saturnie…