vendredi 19 juillet 2019

De l’art patient et noble de la résolution des rätsel


Dans les pays germaniques, les cabinets de curiosités (dits wunderkammer, c’est-à-dire « chambre des merveilles ») que détenaient la petite noblesse étaient certes plus modestes que les immenses chambres des rois et empereurs. Parfois réduits à un simple meuble à tiroirs ou une étagère vitrée (d’où le fameux terme « cabinet »), ils servaient surtout à épater les visiteurs et pimenter les soirées.

L’un des divertissements de salon qui commença ainsi à devenir en vogue fut les rätsel, ou « jeux d’esprits » : de petits casse-têtes élégants, en métaux semi-précieux, bois rares ou en marbre, qu’on défiait un visiteur de résoudre (le plus souvent un visiteur réputé pour son intelligence et sa perspicacité). 

Certains champions des rätsel devinrent localement célèbres ; on les invitait alors à défier le puzzle le plus récemment acquis par le Comte X ou le Baron Y. Quelques personnes parvinrent même à grimper ainsi dans l’échelle sociale : un homme habile à résoudre des casse-têtes ne pouvait qu’être de bon conseil face à une situation épineuse. 

Le sens du terme rätsel a évolué dans la langue allemande pour s’appliquer désormais aux énigmes de toutes sortes.
***

Je suis du genre anxieux et il m’arrive que ça m’empêche de travailler. C’est de famille, semble-t-il : ma regrettée grand-mère, paix à son âme, l’était aussi.

Ma grand-mère passait généralement son stress avec des jeux de patience aux cartes — je crois qu’elle usait quatre paquets par année. Personnellement, je n’aime pas beaucoup les jeux de carte, mais j’ai un faible pour les jeux de réflexion type « cube Rubik ». Voilà qui demande tout juste la concentration nécessaire pour ne pas penser à autre chose, et qui peut aisément être mis de côté une fois la quiétude retrouvée.

J’ai décidé, dans mon cabinet, d’exposer quelques jeux plus anciens et d’opter pour des beaux objets en bois. Ainsi, j’ai toujours un rätsel à portée de la main (mon cabinet étant dans mon bureau) et ils s’intègrent tous parfaitement à l’ambiance.

Shut the box (circa 1840)
J’ai découvert ce jeu totalement par hasard, au Village des Valeurs (3,99 $), alors que je cherchais un coffret de bois pour me servir de coffre à crayons. Si la National Geographic fait remonter ce jeu au XIIe siècle (elle doit savoir ce qu’elle fait), la plus ancienne allusion attestée date de 1846 dans un catalogue londonien. Il semblerait que ce jeu (qui peut se jouer seul ou à plusieurs) jouissait d’une grande popularité chez les marins britanniques, qui l’ont exporté partout dans le monde.


 C’est ce jeu acheté qui a dicté l’esthétique que j’ai donné aux autres, afin de donner un effet de « collection ». J’ai même osé leur mettre le logo de la National Geographic sans permission (honte à moi !). 


Tangram (circa 1820)

Comme bien des gens de ma génération, j’ai découvert le tangram en écoutant la 4e saison de Passe-Partout. La légende veut que ce jeu soit vieux de 4000 ans ; en réalité, il fut inventé en Chine autour de 1820 pour amuser les enfants des nobles. 


J’ai fabriqué le mien avec une retaille de bois, une égoïne et une boîte à onglet (et un bon sablage). J'utilise le couvercle d'une boîte de bois à 2$ comme rangement ; pour la banque de silhouettes à reproduire, j’ai fouillé le web. 

Une page parmi des centaines...


Tours de Hanoï (1883)

J’ai découvert ce jeu au primaire : un directeur remplaçant en avait un très élégant modèle en laiton sur son bureau et me le prêtait quand j’étais en retenue. Par la suite, j’ai toujours voulu en avoir un, espérant améliorer mon score en diminuant le nombre de mouvements. Ce jeu fut créé par le mathématicien Édouard Lucas.

C'est aussi le jeu qu'on fait résoudre aux primates dans Rise of the Planet of the Apes.


 J’ai trouvé le mien au Village des Valeurs (à 99 cents) mais je comptais déjà m’en fabriquer un avec des goujons de différentes tailles.


Soma (circa 1930)

Inventé par le scientifique danois Piet Hein, ce jeu est, de loin, mon favori. J’ai découvert ce jeu dans mon livre de mathématiques de troisième secondaire, où un problème de géométrie y faisait allusion. Je me suis empressé de solliciter mes amis (et piller tous les jeux de société qu’il y avait chez moi) pour dénicher 27 dés que j’ai joint avec du papier collant. J’ai pu ainsi résoudre le cube Soma pour la première fois…

J’ai fabriqué ce jeu-ci en achetant des petits cubes de bois (1,50 $ le paquet au Dollarama). Je les ai teints puis collés. J'utilise un fond de coffret à 2$ comme rangement.



si les pièces ont l'air croches, c'est qu'elles n'étaient pas collées au moment de prendre la photo

Traditionnellement, il faut assembler les sept pièces pour faire un cube, mais il existe des dizaines d’autres possibilités. 





Edakoodam (circa XVIIe siècle)

Faussement nommé « casse-tête chinois », l’edakoodam est originaire de l’Inde. L’année exacte de son invention est inconnue ; la première mention officielle de ce jeu est une gravure du Chambers's Cyclopaedia, en 1698. Peu après, au début du XVIIIe siècle, des catalogues allemands en font mention comme un rätsel « récemment importé » des Indes — ce qui signifie qu’il pourrait avoir été inventé longtemps auparavant. Néanmoins, les mentions hindis de l’edakoodam les plus anciennes datent de la même période. Nombreux sont les marins servant sur les navires de la Compagnie des Indes Orientales qui occupèrent leur temps libre à affronter un edakoodam ; c’est eux qui firent connaître le jeu en Europe.


J’ai découvert les edakoodam quand j’avais 11 ans, chez mon cousin Steve qui en possédait deux. Celui-ci vient du Dollarama et m’a coûté 2$. 


Pentominos (1907)

Inventés par Henry Dudeney, célèbre concepteur de casse-têtes, les pentaminos sont des formes composées de cinq carrés avec lesquels il faut faire un pavage rectangulaire (selon le niveau de difficulté, de 3 x 15, de 6 x 10, de 5 x 12, etc…) 

J’ai découvert les pentaminos à 12 ans, quand j’ai déniché un exemplaire de Terre, planète impériale d’Arthur C. Clarke au marché aux puces. 



Le jeu des pentaminos y est reproduit sur la première page ; je l’avais photocopié, collé sur un carton puis découpé.



J’ai fabriqué ce jeu-ci en achetant des carrés de bois au Dollarama (1,50 $).


Pour le rangement, j'utilise un fond de coffret à 2 $.


si les pièces ont l'air croches, c'est qu'elles n'étaient pas collées au moment de prendre la photo, bis


Âne rouge (1909)

Une fois n’est pas coutume, j’ai découvert ce jeu-ci par une publicité télévisée des années 80. Je ne sais pas si vous vous en souvenez : un monsieur décidait de tuer le temps durant un embouteillage en essayant de résoudre le jeu ; il y était si affairé qu’il ne se rendait pas compte que la circulation reprenait et, à la fin de la pub, c’est lui qui générait le bouchon.

J’en avais demandé un pour Noël à mon parrain et j’ai fini par le perdre en camping (le jeu, pas mon parrain).

Ce jeu est toutefois beaucoup plus vieux que cette pub et avait fait un tabac à sa sortie, au début du XXe siècle. J’ai fabriqué celui-ci avec un jeu de construction de bois pour les enfants d'âge préscolaire (Dollarama, 3$) et j'utilise pour le rangement un petit plateau de service en bois (2$).




 
Taquin (1870)

Le fils de ma belle-mère avait un taquin en plastique. Ce jeu ne l’intéressait pas, mais moi je consacrais les longs voyages en voiture à le résoudre. J’avais dix ans la première fois que j’y suis parvenu et j’ai ressenti, ce jour-là, un sentiment que seul pourrait comprendre Champollion lorsqu’il est parvenu à déchiffrer les hiéroglyphes.


si les pièces ont l'air croches, bon, vous avez compris...

Normalement, les taquins portent des nombres de 1 à 15 ; j’ai posé des lettres sur le mien pour réutiliser celles achetées pour mon présentoir à faune marine (voir « Aquafauna »). La base est le couvercle du coffret que j'ai utilisé pour le soma.  


Émigrette (siècle indéterminé)

Mieux connu sous le nom commercial de yo-yo, l’émigrette remonte aux temps les plus anciens. On peut voir Louis XVII y jouer sur ce portrait daté de 1789.


Ok, ici je triche un peu : ce n’est pas du tout un jeu de réflexion, mais ça reste un excellent passe-stress (j’aime aussi le bilboquet, mais y jouer dans un bureau plein d’objets rares et fragiles comme le mien, ça s’appellerait « tenter le Diable » comme dirait feue ma grand-mère).


J’ai trouvé celui-ci au Dollarama et, sans vouloir me vanter, j’y suis plutôt habile — c’est dire à quel point j’ai souvent besoin de passer mon stress ! De chaque côté, j'ai masqué la marque avec une rondelle de quincaillerie et une pièce d'engrenage. Cela ajoute du poids, et les vrais joueurs de yo-yo en comprendront l'intérêt...

2 commentaires:

  1. Excellent billet ! On y apprend beaucoup de choses. Et ce sont de fort belles additions à ton cabinet. (Moi aussi, j'ai découvert les pentaminos dans le roman de Clarke. La science-fiction conduit à bien des choses.)

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    1. Merci beaucoup, Mario !
      Je te rends le compliment pour ton dernier Futurible (et j'ai tenté, moi aussi, l'expérience d'extraire le phosphore quand j'étais enfant... je m'imaginais m'en remplir un plein pot Masson et m'en faire une lampe de lecture éternelle... ce fut une expérience... parfumée).

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