lundi 5 décembre 2022

Le mythe du serpent pétrifié

Des découvertes paléontologiques eurent lieu tout au long de l’Histoire humaine et cela, dès l’Antiquité. Bien que l’on ne dispose d’aucune preuve tangible à ce sujet, on suppose généralement que les fossiles de protocératops ont donné naissance au mythe du griffon et que les crânes de mammouth ont engendré celui du cyclope.

Nous disposons toutefois d’une panoplie de mauvaises interprétations documentées. On sait de source sûre — grâce à des traces écrites — que dans certains pays germaniques, les bélemnites ont été considérées comme les pointes de flèches du peuple féérique.

 

L’Église a beaucoup profité de l’énigme que représentait les fossiles afin d’apporter des « preuves » de miracles divins ou de la véracité des contes bibliques.  L’un de mes favoris est celui selon lequel les fossiles d’ammonites seraient des serpents pétrifiés par Sainte Hilda.

 

Née en 614, Hilda fut baptisée en même temps que toute la cour du roi Edwin quand elle avait 13 ans. Le conte affirme que jadis, des serpents proliféraient autour de Whitby afin de tenter les Chrétiens pour qu’ils abjurent leur fois. Notre Hilda a donc pogné les nerfs et dans un mouvement de colère, les a changés en pierres.

 



Sainte Hilda pétrifiant les serpents

 

En guise de preuve, le clergé montra aux fidèles plusieurs de ces serpents pétrifiés et il ne se passait pas une année sans qu’un pêcheur n’en trouve sur la grève.

Ces fameux serpents étaient en fait des ammonites, des fossiles très fréquents sur la côte du Yorkshire.  


Serpents roulés sur les Armoiries de Whitby

 

Au tout début, on s’est contenté d’exposer les ammonites telles qu’on les trouvait, en forçant sur la paréidolie pour évoquer un serpent enroulé. Parmi mes propres ammonites, j’ai la chance d’en avoir une qui aurait parfaitement répondu aux exigences pour devenir « miraculeuse ». Ce type de brisure à l’extrémité est très fréquent et il ne faut forcer beaucoup pour y voir une tête de serpent.






Mon ammonite répondant aux critères pour être "miraculeuse" 

et un dessin pour mieux situer sa "tête de serpent".


 

Au fil des siècles, le clergé s’est mis à embaucher des sculpteurs juifs (d’une part pour éviter de révéler la vérité aux fidèles et d’autre part parce que l’antisémitisme de l’époque aurait rendu dangereux pour le sculpteur de révéler la supercherie) afin d’embellir les ammonites pour qu’elles ressemblent encore davantage à des serpents.




Très convoités dans les cathédrales européennes et les cabinets de curiosités, le commerce de ces serpents pétrifiés apporta longtemps un intéressant revenu d’appoint aux églises du Yorkshire. Achetée par la cathédrale de Bayeux, une grosse ammonite fut fixée à un mur avec l’inscription suivante : Credite mira Dei, serpens fuit hic lapis extans, sic transformatum Bartolus attulit huc (traduction : Croyez au miracle de Dieu, cette grosse pierre fut un serpent, ainsi transformé, Bartole l'a fait placer ici).



 

 Lorsqu’il fut invité à la Cour de Rodolphe II de Habsbourg, l’alchimiste anglais John Dee en offrit plusieurs en cadeau à l’Empereur-Cabinetier. Dee prétendit d’ailleurs avoir la capacité de ramener alchimiquement les serpents à la vie (une variante de la palingénésie) ; grâce à l’une des supercheries dont il avait le secret, il aurait réussi à duper l’Empereur.

 

On trouve encore des serpents pétrifiés en vente à Whitby de nos jours, mais le canular s’est modifié : on ne prétend plus qu’il s’agit de serpents pétrifiés, mais on affirme aux touristes que des fossiles récemment trouvés et modifiés sont d’authentiques canulars médiévaux…

 

 

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