Ma regrettée grand-mère maternelle avait, sous l’évier, une armoire remplie de pots de verre divers : pots de confitures, pots Masson, pots de cornichons et j’en passe. Il y en avait de toutes tailles, de toutes formes et elle ne s’en servait à peu près jamais.
Enfant, j’arrivais sans peine à me faufiler dans l’armoire et
j’explorais la collection. Je m’en servais aussi pour jouer à être un
scientifique, un alchimiste ou un sorcier — ce dernier jeu étant encore plus
fabuleux si je me fabriquais des « pendentifs enchantés » avec la
collection de boutons que Grand-Maman gardait dans deux boîtes cylindriques en
étain.
L’année avant son décès, en 2013, je suis passé chez elle
pour lui emprunter l’un des trésors de verre sous son évier, une vieille
bouteille de sirop Dumex. J’avais une suppléance à faire dans une classe de 5e
année où il serait question, dans le cours d’univers social, des premiers hôpitaux.
J’avais déjà quelques vieux outils chirurgicaux mais je voulais aussi quelque
chose de moins effrayant à présenter.
On trouve peu de renseignements sur ce remède. La compagnie
Dumex apparaît pour la première fois dans les annuaires de Montréal entre 1947
et fait faillite en 1964. La bouteille embossée semble avoir existé jusqu’en
1951, pour être remplacée par une bouteille lisse portant une étiquette. Ma
bouteille a donc autour de 75 ans.
Le remède était fabriqué par le Laboratoire Racicot Dumex. Il faut garder en tête qu’à l’époque, n’importe qui et son voisin pouvait vendre un remède tant que celui-ci répondait à des critères très vagues de sécurité. Le sirop Dumex est décrit comme « eucalyptopin », un mot que même Google ignore, sauf quand vient le temps de parler de ladite bouteille. En lisant la publicité, on déduit qu'il s’agit probablement d’une distillation brevetée d’eucalyptol à partir du pin blanc, d'où le mot-valise « eucalyptopin ».
L'eucalyptol est trouvé dans l'huile essentielle de certains eucalyptus, le romarin, l'armoise, l'absinthe, le laurier, la sauge et le basilic de même que certaines variétés de pin. En étude clinique neutre, il semble très légèrement plus efficace que le placebo, mais moins que le miel — en fait, le miel est légèrement plus efficace que la plupart des sirops commerciaux d’aujourd’hui tels que le Benadryl, selon le site gouvernemental du scientifique en chef du Québec.
https://www.scientifique-en-chef.gouv.qc.ca/impacts/ddr-sirop-contre-la-toux-plus-marketing-que-science/
(voir cet article rédigé par les journalistes scientifiques
de l’Agence Science-Presse en association avec les Fonds de recherche du Québec
et le Bureau de coopération interuniversitaire).
Mais revenons à ma bouteille de sirop Dumex. À l’époque, l’un
des arguments de vente était un bec qui peut accommoder une tétine de
caoutchouc afin que la bouteille puisse servir de biberon une fois vide. On
veillait d’ailleurs à le préciser dans les publicités.
J’aime beaucoup l’idée d’inciter le client à réutiliser le contenant d’un produit et l’industrie d’aujourd’hui pourrait tirer des leçons de cette ancienne approche (de nombreuses compagnies le faisaient avec divers objets, j’y reviendrai).
Malheureusement, dans le cas des sirops, cela aura causé des empoisonnements (non fatals, heureusement) lorsque les bouteilles servaient de biberons après avoir été mal rincées : l'eucalyptol est moyennement toxique, la dose létale par voie orale est fixée à 50–500 mg·kg.
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