5 du mois, le jour des canulars !
Les canulars étaient légions dans les cabinets de
curiosités. Racines de baara (ginseng), os de dragons (fossiles), cornes de
licornes (défense de narval), jenny haniver (raie) ne sont que les exemples les
plus connus.
Quelques canulars sont indispensables dans un cabinet, bien
qu’il soit nécessaire de les identifier comme tels. Le canular adéquatement
identifié est une façon d’illustrer le triomphe de la démarche scientifique sur
la superstition, de développer son sens critique, de s’imprégner de la pensée
de jadis et surtout, de rêver.
Mon canular d’aujourd’hui est tout simple : il s’agit d’une
longue branche de rosier que j’identifie comme une branche de Yateveo, un arbre
fictif dont les branches hérissées d’épines pouvaient servir de tentacules.
Le Yateveo fut décrit au XIXe siècle, mais le concept n’est
pas nouveau. L’idée de
végétaux pouvant se mouvoir était bien ancrée dans l’imaginaire naturaliste. On
prenait d’ailleurs pour acquis que les ronces et le lierre pouvaient enserrer
une proie par un effort de volonté. À ce sujet, Duret (dans son Histoire
admirable des plantes) parle notamment du vergogneux, un arbre dont les
branches se recroquevilleraient si on les effleure. Il évoque aussi la ciarlatane,
qui se putréfie au contact d’un humain ou d’un animal, mais reverdit quelques
minutes plus tard – dans la réalité, la sensitive se comporte à peu près ainsi.
Plus impressionnant encore, l’Arbre de Cimbubon laisse tomber des feuilles qui
rampent sur le sol comme des chenilles ou bondissent pour prendre leur envol – peut-être
des observations de sauterelles-feuilles.
Si l’idée
de végétaux animés a perdu sa crédibilité après Carl von Linné, ils ont
retrouvé leur place dans des témoignages « dignes de foi » après que
Darwin eut longuement traité des plantes carnivores du Nouveau-Monde, comme la
dionée. Ainsi, si des végétaux pouvaient s’animer pour capturer des mouches,
pourquoi d’autres ne s’attaqueraient-ils pas à des proies plus grosses ?
Revenons
au Yateveo. Les témoignages d’explorateurs du XIXe siècle prenaient parfois des
airs de bestiaires lorsque leur auteur enjolivait ses voyages ; ainsi,
dans Sea and Land, J. W. Buel parle du yateveo, un arbre carnivore dont
les branches seraient animées comme des tentacules et qui se nourrirait d’êtres
humains.
William Thomas Stead, éditeur de Review of Reviews, a publié en 1891 un bref article à propos d’une liane-vampire qui drainerait le sang des mammifères pour se nourrir.
D'autres "témoignages" afflueront au cours de ces années-là.
L’idée de végétaux animés deviendra très répandue dans la littérature d’imaginaire. Sir Arthur Conan Doyle, dans « Le Récit de l’Américain » évoque une dionée assez grande pour attraper un homme.
En fait, si une plante peut se mouvoir (pensons aux
tournesols suivant le soleil ou, mieux, au piège de la dionée) et réagir aux
stimuli physiques (comme la sensitive), être capable d’agiter les branches en
direction d’une proie exigerait un appareil sensoriel complexe que la biologie
des plantes est incapable de produire au niveau cellulaire. De plus, la force qu’exigerait
la préhension nécessiterait un équivalent au système musculaire des animaux ;
or la cellulose (biopolymère constituant de la paroi des cellules végétales) n’est
pas un matériau biologique pouvant servir à un usage aussi élaboré, du moins de
la façon dont l’évolution a constitué le règne végétal sur notre planète.
L’existence du Yateveo
exigerait une branche totalement inédite de l’histoire de l’évolution menant à
une espèce unique qui, par évolution convergente, aurait l’apparence d’un arbre
tel que nous les connaissons. Un tel lignage biologique étant pour ainsi dire hautement
improbable, on s’étonne de voir autant de cryptozoologues (ou cryptobotanistes
?) s’enthousiasmer pour les témoignages douteux et forts limités d’arbres
carnivores... ça n'empêche toutefois pas de rêver, s'imaginant dans la jungle pour affronter le péril végétal à coups de machette afin de parvenir aux ruines d'une civilisation "perdue" ou découvrir un écosystème totalement inédit...
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