jeudi 5 janvier 2023

Branche de Yateveo

5 du mois, le jour des canulars !

Les canulars étaient légions dans les cabinets de curiosités. Racines de baara (ginseng), os de dragons (fossiles), cornes de licornes (défense de narval), jenny haniver (raie) ne sont que les exemples les plus connus.

Quelques canulars sont indispensables dans un cabinet, bien qu’il soit nécessaire de les identifier comme tels. Le canular adéquatement identifié est une façon d’illustrer le triomphe de la démarche scientifique sur la superstition, de développer son sens critique, de s’imprégner de la pensée de jadis et surtout, de rêver.

Mon canular d’aujourd’hui est tout simple : il s’agit d’une longue branche de rosier que j’identifie comme une branche de Yateveo, un arbre fictif dont les branches hérissées d’épines pouvaient servir de tentacules.




Le Yateveo fut décrit au XIXe siècle, mais le concept n’est pas nouveau. L’idée de végétaux pouvant se mouvoir était bien ancrée dans l’imaginaire naturaliste. On prenait d’ailleurs pour acquis que les ronces et le lierre pouvaient enserrer une proie par un effort de volonté. À ce sujet, Duret (dans son Histoire admirable des plantes) parle notamment du vergogneux, un arbre dont les branches se recroquevilleraient si on les effleure. Il évoque aussi la ciarlatane, qui se putréfie au contact d’un humain ou d’un animal, mais reverdit quelques minutes plus tard – dans la réalité, la sensitive se comporte à peu près ainsi. Plus impressionnant encore, l’Arbre de Cimbubon laisse tomber des feuilles qui rampent sur le sol comme des chenilles ou bondissent pour prendre leur envol – peut-être des observations de sauterelles-feuilles.



Si l’idée de végétaux animés a perdu sa crédibilité après Carl von Linné, ils ont retrouvé leur place dans des témoignages « dignes de foi » après que Darwin eut longuement traité des plantes carnivores du Nouveau-Monde, comme la dionée. Ainsi, si des végétaux pouvaient s’animer pour capturer des mouches, pourquoi d’autres ne s’attaqueraient-ils pas à des proies plus grosses ?



Revenons au Yateveo. Les témoignages d’explorateurs du XIXe siècle prenaient parfois des airs de bestiaires lorsque leur auteur enjolivait ses voyages ; ainsi, dans Sea and Land, J. W. Buel parle du yateveo, un arbre carnivore dont les branches seraient animées comme des tentacules et qui se nourrirait d’êtres humains.

 


William Thomas Stead, éditeur de Review of Reviews, a publié en 1891 un bref article à propos d’une liane-vampire qui drainerait le sang des mammifères pour se nourrir.

 


La revue Nature (2 novembre 1882), de son côté, rapporte les propos du révérend GW Parker à propos de l’Umdhlebi, dont les fruits empoisonnaient les animaux qui s'approchaient afin que le processus naturel de décomposition fertilise le sol dans lequel il poussait. Le sol qui l'entourait était souvent jonché de squelettes.


D'autres "témoignages" afflueront au cours de ces années-là.





L’idée de végétaux animés deviendra très répandue dans la littérature d’imaginaire. Sir Arthur Conan Doyle, dans « Le Récit de l’Américain » évoque une dionée assez grande pour attraper un homme.

 

En fait, si une plante peut se mouvoir (pensons aux tournesols suivant le soleil ou, mieux, au piège de la dionée) et réagir aux stimuli physiques (comme la sensitive), être capable d’agiter les branches en direction d’une proie exigerait un appareil sensoriel complexe que la biologie des plantes est incapable de produire au niveau cellulaire. De plus, la force qu’exigerait la préhension nécessiterait un équivalent au système musculaire des animaux ; or la cellulose (biopolymère constituant de la paroi des cellules végétales) n’est pas un matériau biologique pouvant servir à un usage aussi élaboré, du moins de la façon dont l’évolution a constitué le règne végétal sur notre planète.

L’existence du Yateveo exigerait une branche totalement inédite de l’histoire de l’évolution menant à une espèce unique qui, par évolution convergente, aurait l’apparence d’un arbre tel que nous les connaissons. Un tel lignage biologique étant pour ainsi dire hautement improbable, on s’étonne de voir autant de cryptozoologues (ou cryptobotanistes ?) s’enthousiasmer pour les témoignages douteux et forts limités d’arbres carnivores... ça n'empêche toutefois pas de rêver, s'imaginant dans la jungle pour affronter le péril végétal à coups de machette afin de parvenir aux ruines d'une civilisation "perdue" ou découvrir un écosystème totalement inédit...




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