jeudi 12 janvier 2023

Ce qui reste d'une baculite...

 Avez-vous vu le film Ammonite (2020), romançant la vie de Mary Anning, paléontologue majeure dont on commence à peine à reconnaître l'importance ? C'est un très beau film, malgré les libertés des scénaristes. Il s'agit essentiellement d'un drame amoureux, mais la paléontologie sert de fil conducteur à travers toute l'intrigue. 


Au tout début de ce film, on peut voir Mary Anning (enfin... l'actrice qui l'incarne) extirper une immense ammonite d'une falaise, puis l'échapper. Celle-ci se brise en morceaux, à son grand désespoir.


La scène est venue me rejoindre... I feel you, Mary.


La formation fossilifère de Neuville, pas très loin de Lévis où j'habitais jadis (mais pas très loin non plus de Trois-Rivières où j'habite actuellement) est ma zone de fouille paléontologique par défaut, avec la carrière St-Nicolas de Lévis.


L'histoire que je vous raconte se déroule pendant le Grand Confinement de 2020. Les loisirs étant limités, ma conjointe et moi y avons vu une opportunité de faire du plein-air et surtout, d'organiser des expéditions pour enrichir notre cabinet. Nous avons longé la côte du fleuve, traquant les ossements rejetés par la marée basse. Nous avons chassés les insectes et prélevés des échantillons minéralogiques au mont St-Hilaire. Bref, nous avions fait de la crise une occasion.


Ce jour-là, toutefois, j'étais seul, non loin de la rivière Ste-Catherine de la Jacques-Cartier, à Neuville, piolet et coins métalliques en main, cherchant les fossiles. J'avais déjà repéré quelques bivalves, rien d'exceptionnel mais assez intéressants pour enrichir ma collection ou faire des échanges. 


Et c'est alors que j'ai déniché un énorme fossile de baculite.


Les baculites sont rares (mais pas absentes) dans ce secteur géologique. C'était des céphalopodes contemporains des ammonites, disposant d'une longue coquille droite.


La coquille adulte des Baculites est généralement droite et peut être lisse ou avec des stries sinueuses ou des nervures qui sont généralement inclinées dorso-ventralement vers l'avant. Leur taille varie entre quelques centimètres et deux mètres, pour une moyenne autour de 15 cm.

Or, le fossile que j'avais sous les yeux faisait environ 1m20. Je le sais parce que je me suis allongé à côté pour l'estimer. Il n'était pas complet, mais presque : une pièce de choix, assurément.

J'ai donc commencé à le dégager. Je comptais faire la chose grossièrement, puis amener le spécimen chez moi et me servir d'outils plus fins. Ce que je fis, durant les deux heures qui suivirent.

J'aurais bien eu besoin d'aide. J'ai songé à appeler ma Sonya, lui dire d'aller confier notre fille à Francine et venir me rejoindre mais mon cellulaire était mort, principalement parce que j'avais épuisé la pile à filmer deux tamias en train de se chamailler.

Me restait à attendre l'arrivée de ma douce moitié à l'heure prévue, mais l'entente était que je serais à l'entrée du sentier de randonnée, non loin du stationnement. Si je n'étais pas au rendez-vous, elle ne saurait pas où me trouver.

Car oui, un sentier de randonnée passe non loin, et déjà quelques curieux s'étaient permis de m'approcher pour écornifler ce que faisait cet hurluberlu avec son piolet, ses coins, ses brosses, les plaques à joints en métal (un excellent outil) et tout son attirail. Une dame s'était même assise plus d'un quart d'heure pour m'observer. 

Et laissez-moi vous dire que je ne suis pas spécialement sociable. 

Essayant de faire de mauvaise fortune, bon coeur, je demandais à chaque nouveau spectateur indésirable s'il pouvait me prêter son cellulaire pour que j'appelasse ma tendre mie. Chacun m'a répondu qu'il n'amenait pas son téléphone en randonnée. Vérité ou refus de partager ? Quelqu'un, quelque part, connait la vérité... 

Bref... le temps fuyait et je commençais à me demander comment j'allais ramener ce roc de 4 pieds dans mes bras, tout le long du sentier. J'espérais que mon sac à dos soit assez solide. Vous allez me dire que j'aurais pu laisser le fossile là et revenir avec Sonya, mais j'avais peur de me le faire voler. Vous allez alors me dire qu'il n'était pas vraiment ma propriété et vous avez raison... 

J'ai fini par me rendre à l'évidence que je ne serais pas assez fort pour transporter cette énorme pierre sur 2km de parcours de creux et de bosses...  

Alors j'ai pris une décision de cave. J'ai décidé de dégrossir le fossile sur place. Je n'avais pas les bons outils, j'étais pressé dans le temps, j'étais épuisé, j'étais irrité par la présence des badauds, j'étais craintif de perdre ma trouvaille.

Mauvais cocktail.

Les baculites se fractionnent facilement en petits morceaux, je l'avais déjà lu.

Et pourtant... comme un idiot, j'ai tenté un dégrossissement.

La baculite s'est défait en de multiples morceaux. Lesquels se sont encore défait davantage lorsque j'ai voulu les ramasser par gros blocs. Presque tout s'est émietté, les morceaux glissant et tombant le long de la pente menant au petit ravin, et moi j'ai fondu en larmes sous l'oeil hébété d'un cycliste, d'un couple de pique-niqueurs et d'un pêcheur à la ligne.

Voici le seul morceau qui valait la peine d'être récupéré.



C'est un amoureux aussi anéanti que son fossile que ma conjointe est venue récupérer au stationnement du parc de Neuville... Ce qui me reste de ma baculite est certes une belle pièce, mais ce n'est qu'un huitième du fossile que j'avais trouvé...

Juste à écrire ce billet de blogue, la tristesse me revient et je me foutrais des baffes... 

C'est un fossile précieux pour la leçon qu'il porte. Patience, délicatesse et planification sont de rigueur pour une expédition naturaliste.

Et un pile de cellulaire bien remplie.


P-S: pour vous prouvez que je suis capable de dégrossir correctement un fossile, voici un trilobite de la même expédition.






      

     



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